Si le thème du double était cher aux romantiques, Robert Alexis élargit davantage encore le champ des possibles. Il voit triple, et même plus. Il creuse en chacun de ses personnages pour en extraire la duplicité. Vient ensuite cette fascination pour le point de rupture, ce moment où le morcellement du moi apparaît de la façon la plus évidente, où le mythe rassurant de l’homogénéité des choses vole définitivement en éclat. Ainsi en va-t-il dans Les Figures. Récit de l’itinéraire d’Étienne de Crest, médecin aliéniste du XVIIIe siècle, ce texte raconte la folie et l’errance, la lumineuse perversion comme nouvelle épiphanie dans une somptueuse synthèse des contraires. Au parcours d’Étienne se superpose celui de sa nièce, qui découvre les Mémoires de son oncle des années plus tard. Reste alors à laisser œuvrer le fantasme comme une révélation à soi-même. Aloyse, qui était promise à un avenir radieux aux côtés de Julien (un industriel brillant dont on comprend vite qu’il incarne la pensée productiviste chez Alexis), entrera dans les ordres. Devenue l’incarnation des théories de son aïeul, elle se fondra en lui comme au monde en se livrant au stupre et à la débauche. La perversion comme moyen de se libérer du carcan rationaliste, d’en dénoncer les apories et, pour reprendre les mots d’Ernesto Sabato - du dilemme immémorial « entre le corps et l’esprit » qu’il a tenté de dissimuler. Dans leur tentative de réconciliation avec le pôle libidinal, les personnages comprendront que « la folie ne pouvait se soigner qu’en accélérant ce qui la constituait ». Un art de la consomption dont on pressent déjà qu’il est l’ultime chemin pour accéder à l’Universel.
Reste alors à faire place à l’écriture, à son chantier et au devenir du roman - autant de sujets dont nous avons débattu avec un Robert Alexis inspiré et généreux.
Dans La Robe, le personnage du sexologue, Magnus Herchfeld, vouait ses recherches aux déviances et à la perversion. Ce premier roman comportait-il déjà en germe le médecin aliéniste des Figures ?
Sans aucun doute. Le problème de la multiplicité des identités est au cœur de mes préoccupations. Il y a dans La Robe et dans Les Figures la même volonté de lutter contre la dangereuse notion d’identité. Nous pouvons être tellement de choses à la fois ! Encore faut-il, d’abord, pouvoir se débarrasser de ces évidences qui nous collent à la peau depuis l’enfance. J’ai tout fait dans ma vie, et ce bien avant de paraître en librairie, pour me libérer de ces illusions…
Mots, notions, idées toutes faites, vieille argile de l’éducation, poids des antécédents, de la morale, des conventions, etc. En tant qu’une voie de recherche, le roman doit tenter d’aller le plus loin possible dans le « débroussaillage », apporter un nouvel éclairage, même ténu, sur ce que l’on nomme le réel. Il n’y a donc pas d’écrit sans cette lutte, ardente, intérieure, d’un auteur contre ce qu’imposent les cultures. Du fait de vivre en communauté, les hommes...
Entretiens Déjeuner chez Mister Hyde
octobre 2008 | Le Matricule des Anges n°97
| par
Etienne Leterrier-Grimal
Un auteur
Un livre