Pierre Reverdy, l’angoissé de la terre se dérobant sous les pieds, l’impatient de Dieu trahi en permanence par le réel. Le novateur qui s’ignore, rejoignant sans le chercher la noble lignée de Baudelaire, alors qu’il était, dans une démarche autrement plus intime et plus pressante, en quête inlassable d’une vérité humaine totale et profonde. Gérard Titus-Carmel, dédiant à son œuvre cette méditation littéraire, n’abandonne pas lui-même sa condition de poète. Le support en est une prose poétique de belle facture, au vocabulaire choisi et à la syntaxe raffinée, lourde d’effets de style que le langage ordinaire n’emploie guère, au hasard : « (…) cette image solaire, tout ensauvagée de courses en liberté dans le paysage inépuisable, comme un instantané d’innocence perdue qui jaunit chaque jour chaque jour un peu plus dans sa main ». Cela vaut au lecteur quelques belles trouvailles, comme « le réel infrangible » ou « la lente calcification des jours ».
Comme à l’accoutumée dans ce genre, l’auteur choisit de s’interroger sur l’effet plutôt que sur la manière de la poésie de Reverdy, sur ce qu’elle - en lui - engendre comme impression et émotion, sur ce qu’elle produit comme résultat, et non pas sur les moyens dont elle procède, ou sur les ressorts, formels ou pas, qui la structurent. Il s’agit en somme plutôt d’une tentative d’exégèse, partielle et partiale mais assumée comme telle, que d’une approche analytique ou critique. Par conséquent, le propos est dans son indéniable élégance et, sans doute, pertinence, relativement arbitraire. Mais il n’aspire pas à l’objectivité ; on imagine que ce livre répond surtout à un besoin intérieur de son auteur d’exprimer, afin de mieux l’appréhender, sa propre expérience de la lecture de Reverdy. Expérience manifestement très empathique ; le lecteur est frappé de ce on largement employé par Gérard Titus-Carmel, que les grammaires qualifient d’inclusif, en ce qu’il inclut dans son référent - qui est l’autre, un autre - le locuteur lui-même : « Ainsi les limites mouvantes du monde lui sont-elles hostiles, comme le sont également la neige, le sable, la boue et la pluie, où l’on s’efface, où l’on s’enfonce - où l’on s’enlise. Et dans quoi l’on disparaît, pour finir ».
PIERRES D’ATTENTE
POUR REVERDY
de GÉRARD TITUS-CARMEL
Tarabuste, 155 pages, 14 €
Poésie Pierres d’attente pour Reverdy
novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98
| par
Marta Krol
Un livre
Pierres d’attente pour Reverdy
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°98
, novembre 2008.