Elle a eu très vite du succès. Après un premier roman Les Mouflettes d’Atropos publié en 2000 à 27 ans, c’est Le Cri du sablier, l’année suivante qui lui offre le prix Décembre et un lectorat inespéré. Son minois mignon, sa coupe de cheveux à la Louise Brooks, sa façon d’investir son époque (musique, blog, performances, télévision) lui valent une reconnaissance immédiate de la part des enfants d’Indochine (le groupe de Nicola Sirkis) qui se reconnaissent en la fan qu’elle est restée, tout autant que des avant-gardes, éphémères ou tenaces, qui découvrent dans ses livres des voies inédites. Étrange courant d’air frais dans « la république bananière » des Lettres…
Chloé Delaume reste lucide cependant : le malentendu est grand selon elle et bon nombre de ceux qui ont acheté Le Cri du sablier ne l’auront pas lu, ne la liront pas. Peu lui importe. Son troisième roman, La Vanité des somnambules s’ouvre par : « Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction », deux phrases qu’on retrouvera dans plus d’un des livres suivants. Car oui, Chloé Delaume est un personnage de fiction. Pour aller la voir, on peut cependant user du train et du métro. Descendre à la station Crimée, marcher un peu, prendre une rue laissée pour compte, ouvrir une porte, traverser une cour, monter un étage et sonner à la porte de gauche.
La jeune femme qui nous ouvre porte des lunettes immenses qui font d’elle la sœur des chouettes, elle se hisse sur des chaussures à talon - façon échasses - et semelle compensée à rendre jaloux le petit Nicolas, « des chaussures de pute » affirme-t-elle en se cassant en deux pour nous embrasser. La jeune femme qui nous ouvre, la première fois qu’on la rencontra, avait des cheveux orange et ne s’appelait pas encore Chloé Delaume. Le nom qu’elle portait, au siècle dernier, on le retrouve pour la première fois dans son nouveau roman : Dans ma maison sous terre. Un roman vital dont l’action tout entière se situe dans un cimetière. Celui où la mère de l’auteur est enterrée, après avoir été assassinée par son mari.
Ce drame familial est à la source de l’œuvre. Comment pourrait-il en être autrement ? Si elle ne l’évoque qu’au détour de nombreuses digressions dans Les Mouflettes d’Atropos, la scène traumatique est au cœur du Cri du sablier : « En banlieue parisienne il y avait une enfant. Elle avait deux nattes brunes, un père et une maman. En fin d’après-midi le père dans la cuisine tira à bout portant. La mère tomba première. Le père visa l’enfant. Le père se ravisa, posa genoux à terre et enfouit le canon tout au fond de sa gorge. Sur sa joue gauche l’enfant reçut fragment cervelle. Le père avait perdu la tête sut conclure la grand-mère lorsqu’elle apprit le drame. » (p.19). C’était juin 1983, Chloé Delaume avait 10 ans et ne s’appelait pas encore Chloé. Écrite, l’histoire intime pouvait, pensait-on, reposer en paix. C’était sans compter sur ces secrets de famille qui finissent toujours par refaire surface. En 2004,...
Dossier
Chloé Delaume
Personnage de roman
Puisqu’on ne choisit pas sa famille, Chloé Delaume s’est forgé une deuxième naissance après la mort, violente, de ses parents. S’inscrivant à la fois dans la vie et la fiction, cette lectrice de Boris Vian a su trouver dans l’écriture une manière de se créer un destin. Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille….