Avec John Muir (1838-1914) - icône des écologistes américains et plus particulièrement des « préservationnistes » (les Parcs nationaux, les séquoias géants de Yosemite Park, c’est lui) -, le rapport à la nature est autant une affaire d’éthique que d’esthétique. Sa relation à elle passe par la passion et le respect, l’admiration et l’aventure. Aussi quand, la quarantaine passée, et tout jeune marié, on lui propose d’accompagner une expédition de secours chargée de rechercher des navires perdus dans l’Arctique, il accepte immédiatement. C’est l’époque où la lutte pour la conquête des pôles et la recherche d’une route réduisant la distance entre l’Atlantique et le Pacifique, fait rage. Le passage par le nord-est vient d’être découvert, mais personne n’a encore atteint le pôle ni trouver le passage par le nord-ouest, et nombreux sont les navires et les hommes qui disparaissent. Muir embarque donc sur le Corwin, un solide vapeur qui, de mai à octobre 1881, va multiplier les recherches dans la banquise et le long de côtes encore mal définies. C’est le Journal qu’il tient lors de cette expédition, qu’il nous est donné de lire.
Attentif à toutes les facettes de ce qu’il vit et voit, Muir note tout, qu’il s’agisse des problèmes de navigation parmi les glaces, d’observations scientifiques (géologie, topographie, botanique, faune) ou de ce qui relève de son insatiable curiosité pour les êtres. Il n’a peur de rien, ni des mirages, ni de la tempête dont la basse profonde qui résonnant « à travers les gorges et les pics tourmentés, sculptés de glace, est une musique délicieuse ». Il goûte pour la première fois de la morue fraîche, voit ses premières pointes de flèche fabriquées dans du verre de bouteille et découvre les Esquimaux, « pilleurs d’épaves, troqueurs et buveurs ». Puis les Tchouktches, qui se nourrissent de viande crue, compte le temps en « distance de sommeil » - une journée de voyage équivalent à la distance d’un sommeil. « Après avoir chassé toute la journée, le chasseur tchouktche, emmitouflé et affamé, rentre dans son terrier, se rassasie d’huile et de viande de phoque ou de morse, puis il se met tout nu et avec un plaisir suprême se couche dans son polog, son nid calfeutré de fourrures, pour fumer et dormir. »
Toute une série de notations qui sont autant de remarques ethnographiques - des canoës en peau de morse qu’il faut mettre hors de portée des chiens qui, autrement les mangeraient, aux morts qu’on pose simplement sur le sol avec les objets qui leur ont appartenu (« de sorte qu’un cimetière est un site excellent pour les collectionneurs »), en passant par les rennes que les Tchouktches ne vendent jamais vivants (mais une fois morts, « on peut en acheter cent pour moins d’argent qu’un seul en vie »), ou par les ours blancs qu’on massacre par plaisir depuis le Corwin (« Que des gens civilisés, préoccupés de paradis, d’anges et de milléniums, du règne de la paix et de l’amour universels, puissent se délecter de cet amusement brutal et sanglant, c’est quelque chose dont il est difficile de rendre raison »). Et c’est tout l’intérêt de ce Journal de valoir autant par ses qualités littéraires que par ses observations scientifiques. Aucun survivant ne sera retrouvé et l’expédition prendra fin prématurément (brise-glace rompu) mais une nouvelle plante arctique aura été découverte (l’Erigeron Muirii), les États-Unis auront officiellement pris possession de la Terre de Wrangel et l’œuvre de Muir se sera augmentée d’une nouvelle relation de voyage.
Journal de voyage dans l’Arctique
de John Muir - Traduit de l’anglais (États-Unis) par André Fayot, José Corti, 304 pages, 20 €
Domaine étranger Zigzags dans le pack polaire
février 2009 | Le Matricule des Anges n°100
| par
Richard Blin
Infatigable voyageur, c’est dans l’Arctique que nous emmène cette fois John Muir. Un monde à la splendeur sévère où tout peut arriver.
Un livre
Zigzags dans le pack polaire
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°100
, février 2009.