Belle découverte pour le lecteur français que ce poète et essayiste turc né à Chypre en 1958, exilé dix ans durant en Angleterre à cause de ses prises de positions politiques sur le conflit chypriote. Le volume est une anthologie de poèmes et de quelques essais composée par l’auteur lui-même ; sorte d’autoportrait donc, celui d’un homme qui se débrouille et se débat, en la transposant en une forme artistique, avec le traumatisme originel de la destruction de son monde, et une forme d’aliénation qui s’en est suivie : « En définitive, trois langues se sont mêlées dans mes poèmes / ni les Turcs n’ont pu ressentir ce que j’éprouvais / ni les Grecs, ni d’ailleurs les Autres - / mais je ne les blâme pas, c’était un temps de guerre. » L’objet que ces textes narratifs et descriptifs prennent en charge s’inscrit dans l’ordre du familier et de l’élémentaire : la maison, la voiture, la tante, le jardin… et se voit dépassé par une question aussi large qu’insoluble, celle de l’inévitable injustice du sort. Si la vigilance reste de mise : « Cet apitoiement sur soi, sur la victime que l’on serait, / tu l’avais hérité de la lignée paternelle qui adorait se faire plaindre », il n’en reste pas moins que l’écriture de Mehmet Yashin, avec sa belle tension vers la lisibilité et vers la saisie du vécu, est entièrement imprégnée d’une nostalgie et d’un deuil. Conscient de dangers d’une telle attitude, le poète en arrive à dénigrer sa propre œuvre : « Recouvrez ! / recouvrez-moi / car je suis un mort malfaisant. / (…) S’il vous plaît, ne me lisez pas ! / En écrivant sans cesse le mal je vous fais oublier le bien « . Par coquetterie peut-être, car » le bien « réside également, sinon surtout, dans la beauté de cette écriture à la respiration large et profonde, qui charrie images et émotions tristes peut-être, mais que le lecteur reçoit comme siennes, comme pleinement valables et sincères : » Ils sont entrés dans la Maison, les voleurs / ils ont ouvert la valise de cuir à rivets… / Nous y gardions l’odeur de maman / pour l’exhaler en nous nous l’ouvrions avec précaution. / Ils l’ont ouverte. / Son jupon de pilou, son foulard mauve… »
CONSTANTINOPLE N’ATTEND PLUS PERSONNE
de MEHMET YASHIN
Traduit du turc par Alain Mascarou, Bleu autour, 121 p., 13 €
Poésie Constantinople n’attend plus personne
avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102
| par
Marta Krol
Un livre
Constantinople n’attend plus personne
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°102
, avril 2009.