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Intemporels Aux portes de l’être

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par Didier Garcia

Publié en 1933, ce recueil de proses explore les solitudes de l’âme humaine. La quête métaphysique de Jean Grenier.

Pour les Romains, qui usaient de la polysémie comme nous nous usons du vocabulaire abstrait, « insula » désignait aussi bien une île, une maison isolée, un îlot de maisons, ou un temple. On a même pu voir, sous la plume de Cicéron, ce substantif référer à un quartier de Syracuse… Sous celle de Jean Grenier (1898-1971), le nom « île » conserve ce flou sémantique, et l’on serait bien en peine de localiser sur une carte les parcelles de terre ferme sur lesquelles il écrit. Une île, chez lui, ce peut être une chambre mansardée « bâtie comme une cellule de navire », un séjour à Barcelone, tel passage éclair à Sienne, un paysage de Toscane, quand il ne s’agit pas de l’enseigne d’un fleuriste ou des derniers jours de la vie d’un boucher… Comme on le voit, chez Grenier l’île est une réalité aux contours mal définis. Mais ce que l’on découvre au fil des huit petits textes autonomes réunis ici, c’est que ce sont des îles désertes, bien sûr chacune à leur manière, propices ni aux séjours touristiques ni aux escapades idylliques, car surtout faites pour la solitude (c’est d’ailleurs l’aveu de Grenier lui-même dans une postface écrite trente ans après coup). On se demandera quand même si elles ne sont pas uniquement faites pour que Jean Grenier puisse les écrire - taillées en quelque sorte sur mesure pour porter son projet littéraire.
Quelle que soit leur identité, ces îles incarnent donc l’ultime lieu où l’homme puisse faire l’épreuve de la solitude. Bien entendu, pas n’importe quelle solitude : pas celle de l’errance par exemple, et encore moins celle du désespoir, mais cette solitude que l’ermite réclame, non sans sagesse, en ce qu’elle favorise la rencontre avec soi-même. Car si l’homme aspire à y trouver refuge, sans autre point d’appui que ses rêves, sans rien à quoi s’arrimer, et parfois à son corps défendant, c’est qu’elle est le lieu privilégié pour un face à face avec sa propre conscience. Ces îles sont donc presque davantage des moments (toujours heureux, il faut le noter, et parfois jubilatoires) que des lieux : des îlots de vie pure, de rencontre avec l’essentiel.
Une beauté qui tient à la fois du rêve et de l’essence même des choses.
Les Îles est un recueil difficile à empoigner, non pas par sa complexité, mais parce qu’il semble n’être fait de rien : pendant quelques pages, on côtoie un épicier qui mendie pour le plaisir d’être humilié (on pense alors tenir une vie, au moins du bout des doigts, mais celle-ci rapidement se dérobe) ; plus loin, on se retrouve en compagnie du chat Mouloud ; ailleurs c’est la Bretagne, que l’auteur doit avoir fréquentée avec quelque assiduité dès l’enfance ; ailleurs encore : les rares et beaux instants où « le désir est près d’être satisfait. »… En apparence, pas le moindre fil rouge auquel arrimer sa lecture… Quant aux textes eux-mêmes, on ne peut même pas soutenir que ce sont des nouvelles : des proses, oui, des petits textes non narratifs, dont la raison d’être n’est pas de raconter quelque chose, mais simplement de croquer ces instants singuliers, magiques, presque inhumains à force de rareté, durant lesquels un homme se révèle à lui-même. Au final, rien n’a vraiment été dit, et pourtant tout y est (tout ce qu’il y a d’essentiel pour une vie humaine) : l’amour, l’enfance, la mort, le deuil, la maladie, le rêve, l’amitié, la beauté, la lecture…
Comme le remarque Albert Camus dans une belle préface sur laquelle on pourra s’arrêter, c’est « une quête d’île en île » à laquelle se livre Jean Grenier, mais une quête d’un genre singulier, qui ne donne jamais l’impression d’avoir commencé (comme si toutes ces pages n’en étaient que les prémices), et qui ne nomme jamais explicitement son objet (c’est d’ailleurs un des charmes du recueil, chaque lecteur pouvant élire le sien). Peut-être s’agit-il d’une recherche du vide, d’une sorte de vacuité intérieure, ou de ce que Henri Maldiney appelle « l’éclair de l’être ».
Sous la plume de Grenier, à l’exception çà et là de quelques élans mystiques (qui rappellent les accents d’un Luc Dietrich), vous ne trouverez rien d’ostentatoire, rien qui vise tant soit peu à la démonstration : tout ici est pudeur et délicatesse. Ces proses progressent en glissant, au gré de phrases simples, nullement apprêtées, mais toujours mélodieuses, comme si elles étaient celles d’un poète, à la parole indulgente et toujours pleine de beauté (d’une beauté qui tient à la fois du rêve et de l’essence même des choses). Rien d’étonnant à ce que le lecteur succombe à cette sorte de méditation poétique, à cette façon de rêverie continue : à peine le livre fermé (il est court, c’est son seul défaut), sans doute éprouvera-t-il le besoin d’y revenir. Et peut-être ce recueil ira-t-il encore plus loin, comme il l’a fait naguère avec Albert Camus et Georges Perros : l’assiéger, se poser en lui, au point de confirmer un désir d’écriture.

Les Îlesde Jean Grenier
Gallimard, « L’Imaginaire », 168 pages, 6,90

Aux portes de l’être Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.
LMDA PDF n°105
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