Les premières images des Amants du Pont-Neuf de Léos Carax mettent au diapason tourments de l’âme et souffrance physique. Alex, clodo cracheur de feu, entame visage et corps aux crépis et bitume d’une rue de Paris. Difficilement soutenable, le jeu d’acteur de Denis Lavant fascine monstrueusement.
La plume de David Bosc inocule dans le personnage de Milo, la même puissance, la même démesure, le même lyrisme. Milo ne s’automutile pas, mais semble s’être mentalement retranché du monde. Qui est-il ? D’où vient-il ?
En pleine errance existentielle (la quarantaine ?), telle une bête blessée, Milo débarque dans un village provençal aux alentours pastoraux et semi-industriels (La Crau, Fos-sur-Mer ?). Sa solitude, son étrangeté, son extrême dénuement contrastent et tourbillonnent aspirés par le malstrom d’humeurs mauvaises généré par les villageois. Tout, ici, suinte le fiel, l’injustice, les sentiments les plus bas, les stéréotypes, aussi. Années 90, la première guerre du Golfe éclate et le cadavre de Marcel Pagnol est exhumé, conchié, empalé à Carpentras. « Mais le village est un vieux cœur, il bat pour que rien ne change. » Milo squatte une maison. Était-ce la maison de son enfance ? Une impression de déjà vécu, de remémoration diffuse forme une sorte de pointillé rouge au récit. Milo essaye de tromper sa faim, bosse au noir, bricole, réinvente les objets du quotidien, fréquente un bar où se concentre la haine, le racisme, la frustration. Une femme croit se souvenir de lui, ou plutôt, de lui avoir, enfant, torché les fesses. Une vieille folle ? Qui l’invite à sa table, lui dit des choses fort belles. La beauté ragaillardit le vagabond qui fréquentera alors une autre humanité. Dans un autre bar, au patron plus humain, aux clients plus cultivés, un groupe de jeunes refait le monde. Milo se rapproche, se reconstruit à leurs paroles, leurs rêves, leur générosité, leur ouverture au monde… Puis, brutalement, reprend la route. Rejoindre la femme aimée, l’existence confortable qu’il aurait quittée ? L’auteur, lui, décrira une autre escapade dans une cahute-ventre où Milo avec des poupées réincarnera son mythe de la caverne, réarpentant son enfance.
Peu d’ouvrages, choquent, ébranlent comme celui-ci. Une langue riche, ambitieuse, violente alterne le dit du vulgaire, l’insulte et le dit de l’âme, de ses circonvolutions, ses ombres et lumières. Des phrases vives, descriptives, zébrées de ressassement et de ratiocination enflent, se gorgent de vie, distillent la mort. Le traitement de la solitude, de l’ennui, de l’ordure installe un théâtre d’une grande cruauté, proche d’Artaud ou de Beckett. La dimension très réaliste du récit, parsemée de zones incertaines, s’effiloche peu à peu, suscitant une infinité de dénouements, de récits parallèles, fantômes, menant à la fois à un fantastique halluciné, à une réflexion métaphysique. Plus que de la verve, l’écriture de David Bosc trépigne d’une frénétique impatience à dire, à vouloir trop dire parfois, révélant un talent pour les formules définitives, outrancières, vraies. « - Au diable vauvert… Vous savez comment ils disent en Pologne ? c’est un routier qui me l’a dit, eh bien ils disent : Là où les chiens aboient avec le cul. Juré. Hein ? Ça vous fait marrer ? Moi, je trouve ça effrayant. Effrayant. » Ou encore : « Les images appartiennent aux républiques de la mort. »
À la fois descente aux enfers, éducation sentimentale, carnet de bord d’une nef des fous, d’un naufragé volontaire, voyage à l’intérieur d’une âme, Milo se joue de la narration, de la forme romanesque et lance un cri des origines et des fins, un chant d’un lyrisme exacerbé, épileptique. À la fumure, au fatum, à la laideur et donc à la beauté. « Peut-être que les avant-gardes sont pour les temps d’avant-guerre ? »
Milo de David Bosc
Allia, 192 pages, 9 €
Domaine français Le mythe Milo
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Dominique Aussenac
Dépeindre l’humain en déshérence, David Bosc s’y astreint dans un deuxième roman âpre et flamboyant.
Un livre
Le mythe Milo
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.