Le plus original, sinon le plus grand des écrivains scandinaves, August Strindberg est né à Stockholm en 1849, où il mourra en 1912. Admiré par Kafka - « L’énorme Strindberg » - et considéré comme l’un des pères du théâtre moderne, il fut à la fois dramaturge, romancier, nouvelliste, peintre. Auteur particulièrement prolixe - 72 volumes dans l’édition suédoise en cours de ses œuvres complètes - il écrivit quasi quotidiennement des lettres, plus de dix mille, qui nous introduisent dans les coulisses de la vie d’un homme de génie dont l’esprit et les aspirations sont irréductibles aux normes communes. Au fil de ce tome 1 (deux autres suivront:1885-1895 et 1895-1912), nous découvrons un être hypersensible, né dans une famille nombreuse et dans une Suède puritaine et intransigeante. Parallèlement à des études qu’il ne terminera pas, le joyeux compagnon qui rêvait de devenir acteur, doit faire face aux soucis matériels comme aux premiers refus. Des projets, de l’ambition, il en a. Mû par un rare appétit intellectuel - il lit Rousseau, Dickens, Shakespeare, Zola, Kierkegaard - et porté par une insatiable curiosité - « enfoui parmi les 200 000 volumes de la Bibliothèque royale (où je suis employé), je me perfectionne en sinologie, géographie, archéologie » - Strindberg cherche sa voie, se voue corps et âme à toutes les théories, cherchant en chacune des lumières sur ce qui le hante. « Je suis tenté par tout : ascétisme, épicurisme, piétisme, pessimisme ». Homme au caractère aussi intransigeant qu’instable, il disserte, polémique, s’attaque à toutes les valeurs tabous. « Je crois simplement que l’éducation est une bêtise et une perdition et que la renaissance passe par le retour à la nature ». Partisan d’un ordre social fondé sur la nature et la vérité, son radicalisme politique effraie. Sa pièce, Maître Olof, aux dialogues trop vifs, trop percutants, écrite à 23 ans, réécrite deux fois, a été refusée par tous les théâtres. Et si, à 30 ans, il connaît enfin le succès avec son roman, La Chambre rouge, les années à suivre vont être difficiles.
Entretemps, il a fait la cour à la baronne Wrangel, née Siri von Essen, lui a écrit d’innombrables lettres - parfois signées « Ton pigeon éploré / L’Aigle » -, l’a épousée. Mais rien n’est simple avec les femmes. Il les sanctifie, tout en ne cessant de dénoncer leur perfidie et leur besoin de dominer, et devient peu à peu antiféministe.
Faisant souvent de son destinataire, et donc de nous, le témoin de ses enthousiasmes comme de ses rages, on le voit se débattre parmi les pulsions et les répulsions dont il ne cesse de nourrir son œuvre. Son style, c’est la colère, et bientôt, il doit se résigner à l’exil. « Je me trouve complètement abandonné, sans cesse attaqué par des meutes entières. (…) Je n’ai pas le courage de supporter les aboiements, c’est pourquoi je m’en vais à Paris avec les miens ». Provocateur, il multiplie les attaques commence « le bombardement du Royaume suédois », milite pour un art utile. « C’est cela le dilemme : pour être utile, il faut être lu, et pour être lu, il faut « faire de l’art ». Or je regarde l’art comme immoral. » Déçu par Paris, fasciné par les water-closets des hôtels, dépité de voir ses œuvres acceptées « parce qu’elles sont belles et non parce qu’elles sont vraies », il publie Mariés, en 1884. Hélas, le livre est interdit et lui-même inculpé de blasphème. Rentrant en Suède pour se défendre, il se voit finalement acquitté. Mais le mal est fait : haï, il ne croit plus à la littérature. « Se mettre à nu, soi-même et ses connaissances, cela demande des réserves d’insensibilité dont même moi je ne dispose pas ». Pourtant, à 36 ans, le meilleur de l’œuvre reste à venir.
Correspondance (1858-1885) Tome 1
d’August Strindberg - Choix, traduction et présentation d’Elena Balzano, Zulma, 432 p., 22 €
Histoire littéraire Signé Strindberg
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Richard Blin
Avec ce premier tome de la correspondance d’un génie tourmenté qui aura su transformer ses démons en littérature, c’est un homme inadapté, inadaptable que nous découvrons.
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Signé Strindberg
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.