Cyclocosmia N°2

Revue dite d’invention et d’observation, créée par le libraire Antonio Werli (Libr’air, à Obernai) et ses comparses Julien Frantz et Julien Schuch, Cyclocosmia avait publié en septembre 2008 un dossier entièrement consacré à l’écrivain américain Thomas Pynchon. Outre l’engagement rédactionnel de ses co-fondateurs, cette livraison jouissait, entre autres choses, de la participation du traducteur français de Pynchon : l’iconoclaste Christophe Claro. C’est dire le sérieux avec lequel ces toqués d’une littérature gouvernée par l’impératif de dire son rapport au monde, à l’Autre, au moyen d’une langue particulière, bichonne leur objet qui, avouons-le, à fière allure. Rien d’étonnant donc si le dossier du deuxième numéro de Cyclocosmia nous entraîne plus au centre du continent américain, au cœur d’un pays où, entre Constitution démocratique, dictatures et blocus économique, émergea un poète, romancier et essayiste, exigeant : le Cubain José Lezama Lima.
Né le 19 décembre 1910 à La Havane, Lezama Lima, après avoir publié à l’âge de 27 ans un premier poème, Muerte de Narcisso, consacre près de douze ans de sa vie à Orígenes, une importante revue littéraire autour de laquelle graviteront des artistes cubains tels que les poètes Ángel Gaztelu, Cintio Vitier et Virgilio Piñera. En 1966, paraît Paradiso. Traduit par Didier Coste pour les éditions du Seuil en 1971, ce roman-somme accumulant les « images hermétiques » et les « tournures insaisissables » influencera toute une génération d’écrivains de langue espagnole : Octavio Paz, Reinaldo Arenas, Julio Cortázar… À travers repères biographiques, analyse comparatiste et textes critiques adressés à un public d’initiés, Cyclocosmia rend compte de la complexité de celui dont l’écriture fut, à juste titre, comparée à celle de l’auteur de Coup de dés. Comparaison non fortuite, puisque Antonio Werli propose une traduction inédite d’un article de José Lezama Lima sur l’intensité poétique mallarméenne. « Étrusque de la Vieille Havane » ayant toujours cru « en la valeur de la culture et de la bibliothèque pour refonder l’histoire », espèce de calamar baroque qui « pour se défendre de ses ennemis, expuls(a) des jets d’encre qui troubl(èrent) tout autour de lui », Lezama Lima lègue une odyssée romanesque frappée du sceau de l’incomplétude de l’être, à découvrir ou à redécouvrir.
En plus de ce dossier, Cyclocosmia comprend une série de courts récits d’invention, dont « Apologie d’une star de la faim », fable satirique d’Alain Giorgetti qui vaut franchement le détour.
Cyclocosmia N°2 207 pages, 22 €
(Association minuscule 14, rue Dietrich 67210 Obernai)