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Traduction David Boratav

novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108 | par David Boratav

Warlock d’Oakley Hall

Le western a longtemps été un genre oublié en France. Il a fallu le travail d’auteurs de best-sellers comme Larry McMurtry, Annie Proulx ou Cormac McCarthy pour lui rendre une actualité. Au cinéma, où sa mort ne cesse d’être annoncée, il renaît régulièrement de ses cendres. Jusqu’à récemment, amener un western à un éditeur en France relevait de la galéjade. Un polar, passe encore - mais un western ? Le traducteur, dit-on, est un passeur. Il faudrait dire passeur en force, car bien avant de s’enfermer dans la besogne d’une traduction, il doit souvent, par sa seule conviction, convaincre l’éditeur de la nécessité de traduire ce livre-là. A fortiori un western.
J’ai découvert Warlock, western culte d’Oakley Hall, dans la New York Review of Books. C’était une publicité montrant la jaquette de couverture, avec la figure dédoublée d’un cow-boy sans visage, stylisé et pixellisé, dans une posture figée, oblique et sans épaisseur, comme une cible en carton. Juste en dessous se trouvait l’extrait de l’article que Thomas Pynchon consacra au livre en 1965, sept ans après sa parution. Tombstone, Arizona y était comparée à Camelot, et le duel d’OK Corral à une « joute arthurienne ». Il ne faisait plus de doute que je traduirais ce livre. Deux ans furent nécessaires pour être entendu, par des cow-boys, les Albigeois du Passage du Nord-Ouest.
Fiction historique et œuvre métaphysique, plurielle et mythologique, Warlock est un renversement de l’idée même de « western ». Il ne s’enferme pas dans un genre : il emprunte à tous les autres - existentialiste dans les questionnements des personnages, presque beckettien dans les dialogues et les situations, choral dans sa facture même, et postmoderne déjà dans sa manière de placer en toile de fond du duel ultra-scripté de « l’Acme Corral » les luttes sociales et politiques liées à la fin de la Frontière. Cette pluralité de genres offre une profondeur de champ idéale pour le traducteur. Chaque chapitre est un changement d’angle et de point de vue : Warlock vu par les yeux du shérif Johnny Gannon, du joueur Tom Morgan, du docteur David Wagner… La traduction y trouve un souffle et une ardeur.
L’une des beautés du roman réside dans la richesse de ses dialogues. La langue de Warlock est elle aussi multiple : rustre avec le parler cow-boy, victorienne dans ses expressions, américaine dans la spécificité de son vocabulaire. L’anglais de Warlock est transmuté par le territoire dans lequel il s’inscrit, celui de l’Ouest pionnier. C’est une langue classique mais soucieuse d’authenticité qui exige de chercher, en traduction, cette spontanéité qui manque parfois au français. Hall plonge ses lecteurs dans une langue du contre-pied, assurée quand elle est rurale, empruntée quand elle verse dans la sophistication, comme dans le journal d’Henry Holmes Goodpasture, un boutiquier dont les réflexions bien-pensantes (mais souvent justes a posteriori) rythment le récit jusqu’à son surprenant épilogue.
Les défis de traduction sont nombreux : trouver (ou ne pas trouver ?) le mot sans équivalent (« How ? », l’expression utilisée par Morgan et le marshal Blaisedell lorsqu’ils trinquent), l’insulte qui tombe juste (« son of a bitch » est fréquent, mais « fuck » inexistant), l’interjection idoine (« God », « Christ », « Damn you to hell »), le vocabulaire vestimentaire, les codes inspirés du jeu de cartes - le tout placé dans le contexte d’une époque et d’une géographie sans égales en France (pensez Maupassant, ou Flaubert). Pour retrouver un peu de la spontanéité du vocabulaire cow-boy, j’ai pris la liberté, là où c’était possible, d’employer des expressions de la campagne française, celles d’une langue à la fois orale, vernaculaire et imagée, qui m’ont permis de mêler la manière fruste à un parler qui mélange franchise et duplicité.
Livre politique sur les fondements viciés d’une société, Warlock est un travail sur le cliché. Visages huileux de cow-boys dans la lumière des lampes à pétrole, pouces accrochés aux ceinturons à munitions, choc des talons sur les promenades en planches, enseignes trouées par les tirs d’armes à feu - le livre manie tous les stéréotypes du western sans jamais y céder. Au gré des exigences du récit, l’imagerie classique du genre est retournée, tournée en ridicule, ou mise en doute. À chaque chapitre, les faiblesses de caractère du marshal sont plus évidentes, et les intentions de Kate Dollar, ex-prostituée en quête de vengeance, plus équivoques. Le shérif Schroeder meurt dans un duel qui se révèle n’être qu’un accident, et la disparition de la figure malfaisante de Tom Morgan tourne au sacrifice. La traduction doit coller au plus près de ce rythme particulier fait de lenteur, de scènes d’exposition et de basculements narratifs inattendus où une certaine logique de sens (l’apaisement) est brutalement remplacée par une autre (l’explosion de violence).
Warlock est aussi un livre sur le geste. L’une des grandes scènes du livre se déroule au bar du Glass Slipper, entre McQuown, chef des cow-boys réfractaires, et Blaisedell, « gunman » (ou tueur) embauché comme marshal par le Comité des citoyens pour faire la loi en ville. Face-à-face attendu, mais composé comme un rêve, où Hall ne se contente pas d’écrire que le marshal est rapide et dégaine plus vite que ses adversaires. Il décompose avec cette tension typique de son écriture, pour décrire comment les cow-boys dégainent un peu moins vite et perdent leurs moyens, pour saisir une grimace figée, une hésitation, une pose. Il multiplie les points de vue dans un jeu complexe d’angles et de miroirs. La traduction d’un tel passage doit rester fidèle au rythme, à cette cadence propre à toutes les scènes d’action du livre où la tension monte puis retombe à la vitesse d’une arme tirée de son fourreau. En somme, la « prose de genre » d’Oakley Hall n’en a jamais été une : elle participe plutôt à la vitalité d’une langue en perpétuel renouvellement, à la grandeur d’une littérature épique qui continue de s’écrire aujourd’hui.

David Boratav a traduit, entre autres, Nick Tosches, William T. Vollmann et Richard Fariña. Il vient de publier son premier roman, Murmures à Beyoglu (Gallimard). Warlock paraîtra fin janvier 2010 chez Passage du Nord-Ouest.

David Boratav Par David Boratav
Le Matricule des Anges n°108 , novembre 2009.