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Intemporels Sous l’œil d’Œdipe

janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109 | par Didier Garcia

Dans ce roman initiatique, Haruki Murakami, l’enchanteur japonais, présente l’odyssée d’un adolescent. Énigmatique, délicat et délicieux.

Kafka sur le rivage

Dans les premières pages, Kafka Tamura n’a encore que 15 ans, mais ses idées sont déjà bien arrêtées : son rêve est de quitter son père, on ne sait trop pour quelle raison (sa mère l’a abandonné alors qu’il n’avait encore que 4 ans), de voyager « jusqu’à une ville inconnue et lointaine » et se poser dans quelque « endroit secret, tapi dans un creux du monde ». Trois cents pages plus loin, on apprendra quand même (comme s’il était temps de donner à sa fugue un peu plus de consistance, et en faire autre chose qu’une crise d’adolescence) qu’il espérait échapper ainsi à la prophétie de son père, laquelle rappelle singulièrement la tragédie mythologique d’Œdipe : comme son illustre prédécesseur, il est écrit que Kafka tuera son père et couchera avec sa mère un mythe d’ailleurs quelque peu revisité, puisqu’il devra également coucher avec sa sœur…
Cependant que Kafka part pour le Shikoku, une île située au sud-ouest d’Osaka, Nakata, une sorte d’imbécile aux pouvoirs surnaturels, entreprend plus ou moins le même périple. Commence ainsi une double odyssée qui n’en finira jamais de surprendre et d’émouvoir le lecteur. Il pourra y suivre, par exemple, des dialogues déroutants entre Nakata et des chats (dont il comprend le langage, alors qu’il ne sait ni lire ni écrire), ou y découvrir un personnage sorti de nulle part, un certain Johnny Walken, qui entend réaliser une flûte avec des têtes de chats.
Au bout de cent pages, déconcerté par cette intrigue qui part toujours là où on l’attend le moins, le lecteur se perd déjà en conjectures. Que viennent faire ici les rapports « secret défense » du Military Intelligence Service, relatifs à un « incident » survenu au Japon le 7 novembre 1944 ? Pourquoi Kafka perd-il la mémoire pendant quatre heures et se retrouve-t-il ensuite dans un terrain vague, maculé de sang ? Pourquoi se met-il soudain à pleuvoir des sardines et des maquereaux vivants, puis des méduses ? Comment se peut-il que Nakata ait anticipé l’événement et ouvert son parapluie quelques secondes avant ? À première vue, tout cela ne paraît pas très sérieux. Et pourtant, jamais le lecteur ne se demande s’il doit donner crédit à ce genre de fadaises : il est pris par l’intrigue, complètement hypnotisé par cet univers dans lequel Murakami l’a installé, et il y croit. Tout juste s’autorise-t-il à tenter de donner sens à ce qu’il s’est passé (trouver une explication rationnelle aux délires de certaines pages), mais il se trompe toujours : c’est invariablement plus simple que le scénario conçu par l’écrivain japonais. Sa seule bonne intuition : que les destins de Nakata et de Kafka vont finir par se rejoindre, on ne sait au prix de quels hasards romanesques, ou simplement se croiser, mais la mort du premier rendra cette rencontre à jamais irréalisable.
Un récit à la croisée du monde matériel et du monde spirituel.
Au fil du roman, tout devient de plus en plus étrange, hypnotisant, envoûtant, et bien sûr captivant. On avait d’abord quitté le récit de l’évasion de Kafka pour une investigation militaire ; on était ensuite passé à une sorte d’enquête policière, après le meurtre apparemment perpétré par Nakata (mais avec Murikami, on n’est jamais sûr de rien), et voilà que le roman s’oriente vers le récit d’aventures à la Indiana Jones : il est soudain question d’une pierre aux pouvoirs mystérieux, censée pouvoir ouvrir l’entrée.
Difficile de savoir exactement dans quel univers on se trouve : pendant plus de six cents pages, on navigue entre le rêve et la réalité, embarqué à bord d’un récit qui se dirige tantôt vers un monde matériel, tantôt vers un monde spirituel, quand il ne s’agit pas de l’univers merveilleux propre au conte. Sans oublier que certains chapitres font alterner méditations poétiques et réflexions philosophiques, et que Murakami (né en 1949, plusieurs fois pressenti pour le Nobel) n’hésite pas à recourir aux traditions japonaises, peut-être même aux légendes de son pays.
Au final, on se retrouve au seuil de tout, là où toutes les frontières se dérobent, et où le lecteur, comme les personnages (nul n’est épargné) se retrouve face à lui-même. Et pourtant, curieusement, il n’y a là rien de véritablement inquiétant : la plume de Murakami continue de glisser, imperturbable, et ses phrases s’écoulent avec toujours la même grâce, la même élégance.
Il est tentant de voir dans Kafka sur le rivage un roman d’apprentissage, voire un roman initiatique, et de le ranger aux côtés du Wilhelm Meister de Goethe, auquel il ne doit vraiment rien et dont il n’a pas du tout à rougir, mais ces étiquettes ne disent rien de la magie qui règne dans ces pages, et encore moins du plaisir que l’on a à le lire, sans jamais savoir où l’on va, sans jamais trop comprendre, mais en se laissant enchanter. Un enchantement qui dure encore bien après la dernière page.

Kafka sur le rivage de Haruki Murakami
Traduit du japonais par Corinne Atlan
10/18, 640 pages, 12

Sous l’œil d’Œdipe Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°109 , janvier 2010.
LMDA papier n°109
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