Ce qu’il y a d’épatant avec le haïku, c’est qu’il peut parler à tous indépendamment de l’époque et du pays. Parce qu’il relève d’un lien vivant avec le monde visible. Une sorte de poésie directe à mille lieues de cette « hésitation prolongée entre le son et le sens » par laquelle Paul Valéry définissait son idéal poétique. Ici la musicalité s’efface au profit de ce qui est montré. Mais avant d’être une disposition d’esprit, le haïku est une forme, issue du tanka, ce poème japonais composé d’un tercet de dix-sept syllabes (5/7/5) auquel répondait un distique de quatorze pieds. Devenu indépendant, le tercet s’est transformé en haïku, dont le sens premier veut dire « s’en aller au hasard, baguenauder, divaguer ». Une forme mise au service d’un regard, d’une sensibilité au presque rien. Simple reflet du monde, le haïku n’est l’expression d’aucune sagesse, « juste une incision très légère faite dans la trame du temps - dit Philippe Forest - la césure nette et infime par où se laisse apercevoir la vrille d’un vertige ouvrant sur nulle part, précipitant le passage du présent puis le suspendant sur la pointe insignifiante d’un seul instant ».
Ce qu’on peut vérifier en lisant les 817 haïkus (à La Table ronde) que nous propose Richard Wright, le grand romancier afro-américain auteur de Black boy. Des haïkus écrits lors de son exil en France et dans les dix-huit derniers mois de sa vie. Des moments de vérité, mariant un lieu et un moment aux réalités les plus terre à terre. « Entre brume et pluie / Un papillon chevauchant / La queue d’une vache ». Épouvantails et magnolias, neige et corbeaux, vols d’oies sauvages et nuits de printemps, c’est la beauté intempestive du monde qu’il décline. « Soudain le tonnerre — / Sursautant, les magnolias / Deviennent plus blancs ».
Avec Le Bleu du matin-pêcheur et La Rumeur du coffre à jouets, ce sont deux anthologies trilingues que nous proposent les éditions de l’Iroli. Chacune est forte de 88 textes de 88 auteurs, la première sur le thème de l’oiseau - « les chants d’amour / de tant d’oiseaux - / le vent dans mon chemisier » (C. Zackowitz) -, la seconde sur le thème de l’enfance - « doigt sous les mots / il fait semblant de lire / son chat l’écoute » (H. Ducharme). Signalons aussi La Volière vide, toujours chez l’Iroli : une échappée sur l’univers poétique de Thierry Cazals et Vincent Delfosse, mort accidentellement à 25 ans. « Coccinelle trottant / sur le doigt tendu / vers ton absence » (T.C.) ; « Le silence / déborde / un chardon en fleur » (V.D.).
Poésie Merveilleux haïku
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Richard Blin
Des livres
Merveilleux haïku
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.