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Zoom Pression nucléaire

février 2010 | Le Matricule des Anges n°110 | par Chloé Brendlé

Elisabeth Filhol raconte le quotidien des ouvriers d’une centrale. Un premier roman puissant qui est aussi une fable sur notre modernité.

La Centrale

Vingt millisieverts de radiation autorisée. Pour « quatre-vingts kilogrammes de squelette et de muscles ». Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent le gars qui « ne décroche pas ». Sept tranches sur le site. Quelques semaines d’intervention pour mille intérimaires. Mille hommes pour un arrêt de tranche. Trois minutes pour nettoyer le générateur. Trois suicides en six mois. E = mc2.
Entre les chiffres et les équations, incidente, la littérature. Là où les hommes qui travaillent à la fission nucléaire se fissurent. Le puissant et court roman d’Elisabeth Filhol est né d’ « une inquiétude et d’une volonté de comprendre » nous dit-elle, la faille humaine trop humaine révélée à l’occasion d’un fait divers. Pour une entrée en littérature, voilà qui est intriguant, s’emparer d’un univers quasi carcéral et presque exclusivement masculin. Presque. Car au commencement, il y a bien « Elle ». L’origine. La sidérante. La « Centrale ». C’est « comme une poupée russe, avec une enceinte de confinement, puis une autre, la piscine du réacteur, et sous le couvercle de la cuve, les gaines métalliques dans lesquelles sont empilées les pastilles d’uranium. On avance par cercles concentriques jusqu’au point infinitésimal où a lieu la fission de l’atome. J’ai essayé de reconstituer cette progression dans le roman. » L’auteur explore avec délicatesse cet univers singulier, qui rappelle autant le cadre et les conditions de travail des mines du Nord de la France, que l’atmosphère confinée et protocolaire d’un vaisseau spatial. Entre cet infiniment petit et cet infiniment grand, la trajectoire d’un homme, Yann, travailleur itinérant, nomade contemporain. De centrale nucléaire en centrale nucléaire, et d’hôtel en caravane, il décline la fascination concentrique et destructrice de son travail : « D’en être arrivé là, à vendre son corps au prix du kilo de viande, on lui en serait presque reconnaissant, au corps, de nous imposer ça ». L’amenuisement de soi, jusqu’à l’accident. Qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas de « délivrer un message ». Yann est assez méfiant, quand des manifestants extérieurs viennent repeindre les tours de la centrale aux couleurs de l’avertissement et du danger. « J’ai découvert cet univers au fur et à mesure de mon travail d’écriture, ajoute l’auteur, en me projetant dans les situations, en m’identifiant aux personnages, en essayant de créer un contraste entre la terminologie technique et la poésie des paysages. » Autrement dit, en insufflant le romanesque et le sentiment à un univers brut.
« Vendre son corps au prix du kilo de viande. »
Ce dont nous parle sa prose si limpide en apparence, c’est de mirages et de magnétisme, de modernité et de résidus de beauté, de poésie froide, à l’image de la piscine d’eau déminéralisée au centre du bâtiment. Comme une fable. Une métaphore de la « crise » qu’on a de cesse de nommer sans vraiment chercher à comprendre. Des hommes passent, dans des sites qui eux, demeurent semblables, à l’alphabet identique : « Bleu, vert, jaune, orange et rouge ». Couleurs non pas tant des voyants d’avertissement que petite signalétique de la solitude. Car dans la lente progression vers le noyau de la centrale, le « réacteur », ce sont des strates d’émotion qu’Elisabeth Filhol dégage. C’est au cœur, à travers l’utilisation de toute la gamme chromatique des pronoms personnels, qu’elle parvient. À l’isolement et à la solidarité, parmi Yann et ses compagnons. Au fantôme et à l’ami ressouvenu, rencontré au seuil de la vie, « d’accord sur l’essentiel ». À la brusque rupture avec celui-ci : « Six ans plus tard, place de la gare à Poitiers, refus de sa part que je descende, ça tourne court, la voiture en double file, son sac pris vite fait sur l’épaule et le claquement du coffre qui vaut signal de départ ; après on revoit les images, l’encombrement des rues ce vendredi soir, le siège vide au retour côté passager et le temps qu’il faudra pour s’y faire. Dans la chambre d’hôtel, deux lits dont un ne sert plus à rien, des affaires qu’il a laissées, que je devais reprendre, que j’ai toujours. »
Elisabeth Filhol, qui travaille dans l’industrie mais de l’autre côté du miroir, pour un cabinet d’audit, se réclame de l’influence de deux écrivains contemporains, François Bon (L’Enterrement, Daewoo) et Leslie Kaplan, également publiée chez P.O.L (L’Excès-l’usine, Miss Nobody Knows). Elle s’inscrit avec La Centrale à leurs côtés, en signant ce texte poignant et, qualité rare, parfaitement maîtrisé. Du début à la fin. Du début, on citera la première phrase : « Trois salariés sont morts au cours des six derniers mois, trois agents statutaires ayant eu chacun une fonction d’encadrement ou de contrôle, qu’il a bien fallu prendre au mot par leur geste, et d’eux qui se connaissaient à peine on parle désormais comme de trois frères d’armes, tous trois victimes de la centrale et tombés sur le même front. » De la magnifique fin, on ne dira presque rien. Sinon qu’il y est question de mer et d’un certain nuage de printemps 86. Sinon que crescendo, l’écriture aura trouvé sa pulsation, et l’auteur une voix. Grave de promesses.

La Centrale d’Elisabeth Filhol
P.O.L, 141 pages, 14,50

Pression nucléaire Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°110 , février 2010.
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