Noms d’oiseaux

Les Insultes en français : de la recherche fondamentale à ses applications : (linguistique, littérature, histoire, droit)
Il est des matins où la lecture annoncée de certains livres peut rendre joyeux. Deux ouvrages consacrés à l’insulte promettent ainsi de belles découvertes, petits mots marrants à collationner, au cas où, on ne sait jamais, on en aurait besoin. À lire ces Noms d’oiseaux, l’insulte a une longue histoire parmi les notables de la politique : tout y passe, du global mépris à la misogynie, de la friction à l’accusation, du racisme à la boutade… La langue politique se plaît à s’encanailler pour choquer, rugir, blesser, accuser ; et les mots d’ordre d’aujourd’hui - Pas de polémique ! -, volontiers brandis au sujet de tout et de rien mais qui garantissent la-figure-responsable-et-citoyenne, ont la mine bien pâle face à l’histoire des débats parlementaires. C’est parfois indisposé, parfois sidéré, qu’on parcourt les pages vivement écrites par Thomas Bouchet. De 1828 à Dominique de Villepin, le livre raconte l’histoire de France à travers la « langue mordante » des députés, et c’est une manière fort plaisante de parcourir les annales, plaisante et intrigante aussi, puisque l’auteur nous laisse sur une question, celle de « l’érosion » de l’insulte : « Si l’on considère, en effet, qu’elle fait obstacle au débat démocratique (…) son effacement ne marque-t-il pas un progrès dans les mœurs politiques ? Si l’on estime plutôt qu’elle permet d’exprimer dans des limites tolérables le salutaire conflit des opinions, et qu’elle dispense le plus souvent d’en venir aux mains, on peut conclure qu’elle manque ».
Jolie manière de terminer un joli livre, qui du coup nous donne bien envie d’aller regarder du côté du recueil d’articles Les Insultes en français - même si le sous-titre peut faire hésiter un moment : « de la recherche fondamentale à ses applications ». Peut-être y trouverons-nous de quoi alimenter la réflexion ? Toutefois, de la politique au social, le saut est brutal. L’écriture alerte de l’historien fait place au grave, parfois même au pénétré : c’est qu’on ne parle plus de l’élite politique, mais des « acteurs sociaux » dont les mouvements d’humeur peuvent remettre « en cause le vivre ensemble » (tip top le déterminant). Alors on va avoir des jeunes « adolescents », des « cours de récré », de la « trash radio », des automobilistes aussi un peu, à travers des « pratiques », mieux, des « rituels », des « processus de construction identitaire », des « comportements sociaux », de la « socialisation groupale » et tout le pack en kit. Qu’il soit insulteur ou insulté, le X est pris dans des stratégies énonciatives qui ont effectivement plus ou moins d’effet, touchent plus ou moins, et plus ou moins durablement : le nœud, en somme, n’est pas là, puisqu’on aurait mauvaise grâce à nier le poids que peuvent avoir certaines insultes, à certains moments, en certains lieux - certaines études du reste le montrent bien, comme celle de Yannick Chevalier et Hugues Constantin de Chanay. Ce qui produit le malaise, persistant et profond, vient d’ailleurs. L’insulte, ce serait donc de la construction identitaire, l’insulte, ce serait du délitement social, l’insulte, ce serait mal passé 9 ans - à moins, à moins que tu ne te sois fait un nom, mettons Beckett : « La douleur est donc sous-jacente dans toutes les phrases ordurières qui évoquent, et mères, et génitrices (…). Les injures deviennent des pointes de détresse (…). Pour Beckett, les mots grossiers, les insultes représentent donc la révolte grossière (dans tous les sens du terme) contre l’impossibilité d’être, le cri désespéré (…). Il convient d’entendre à travers eux le cri de l’humilié, entendre le désir, l’arc du corps, le vide qu’il dessine lorsque la bouche se ferme (…) » (Jean-Paul Gavard-Perret). Ici la prose critique est sensible, les phrases plus longues, la pensée moins gelée.
Noms d’oiseaux L’insulte en politique de la Restauration à nos jours
de Thomas Bouchet Stock, 303 p., 19,50 €
Les Insultes en français De la recherche fondamentale à ses applications (linguistique, littérature, histoire, droit) sous la direction de Dominique Lagorgette, Université de Savoie, 335 p., 20 €