C’est la foire et du Sorel tout craché. Pas besoin de montagnes russes ni de poudre de perlimpinpin : Polyandre, fantaisie narrative de 1648, nous tire par la manche et nous entraîne dans une virée parisienne comme si on y était. Ça parle ça dispute ça se reçoit ça disparaît ça revient et nous embrouille. Dans la veine des romans comiques, moins connu que son Histoire comique de Francion (1623), ce livre-là est de libre facture : les personnages, pris de l’aveu même de l’auteur dans sa préface comme des « caractères », évoluent dans tous les espaces de la ville, de nuit comme de jour, en bonne compagnie ou en plus trouble société. Et le plaisir qu’on prend à ces situations doit beaucoup sans doute à la sorte d’« esprit hétéroclite » qui s’en dégage tout comme la force de pénétration du regard - il est vrai que les dieux pouvaient encore en ce temps-là faire barrage à la sociologie. Pour autant, de société, il en est sans cesse question, tournée et retournée dans tous les sens, à l’occasion de rencontres, de conversations ou de désordres qui font la trame du roman, comme dans ce bal où de jeunes gens « qui alloient partout sans y estre mandez » sèment le trouble, raillent et rompent bruyamment l’ordonnancement de la danse. Les violons se taisent alors, les « filoux » sortent l’épée, et la compagnie s’ébroue : « Nostre vray remède seroit de ne pas faire de si grandes assemblées, & de ne nous réjouïr qu’avec un petit nombre de nos voisins et nos voisines ; Cela estant, aucun n’oseroit nous troubler. Il n’y a que ce nom de Bal qui supose une assemblée publique, où il entre qui peut : il faudroit laisser cela aux grands Seigneurs qui ont des Suisses et d’autres gardes pour refuser l’entrée à qui ils veulent ».
Polyandre, histoire comique
de Charles Sorel
éditions Klincksiek, 477 pages, 35 €
Histoire littéraire Apéro géant
juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114
| par
Gilles Magniont
Un livre
Apéro géant
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°114
, juin 2010.