Zuleika Dobson
Environné de femmes laides, mais vivantes, et de créatures exquises, mais en carton, l’étudiant est la victime prédestinée de la beauté vivante ; comme le feu déjà dressé, il lui suffit d’une étincelle. « Cette étincelle a ici pour nom Zuleika Dobson : rendant visite à son grand-père et recteur d’Oxford, elle en profite pour mettre à sac ce temple du savoir et de la tradition, poussant jusqu’au suicide des bouquets de jeunes gens, tombés à l’eau par amour pour Elle. Il y a donc dans cette histoire des morts violentes en pagaille et de la passion jusqu’à ras bord ; ce n’est pas grave toutefois, et l’on ne sait pas trop si ces actes désespérés furent le fait de la tragédie ou du snobisme. Comme le souligne lui-même Max Beerbohm (1872-1956), il s’agit d’une » fantaisie « : le triomphe de la mort est drolatique, les interventions du narrateur espiègles, et quand Zuleika accompagne vers sa fin le quatorzième Duc de Dorset, » maître dandy « rutilant, elle pense surtout à faire des mots d’auteur - » Pourquoi ne peut-on s’éprendre des vêtements d’un homme ? « . Et le lecteur pense alors à l’Oscar Wilde de L’Importance d’être constant, ses aphorismes et ses paradoxes, ses équations sentimentales et insolubles - telle celle que Zuleika Dobson poursuit jusqu’aux dernières péripéties : » Tous ceux qui l’aiment, elles les méprise. Or, la voir, c’est l’aimer. " Beerbohm fut justement le contemporain et disciple (pas trop reconnaissant) de Wilde ; on le connut d’abord comme caricaturiste puis comme essayiste, et il demeura jusqu’à sa mort la figure inaltérée d’un souverain composé d’esprit et d’étiquette, grâce auquel il obtint même d’être anobli ; paru en 1911, son unique roman est d’époque, victorien, farfelu, tout en conversations piquantes et tentatives d’atteindre à une certaine image souriante de l’élégance british, sorte de chanson pop poussée sur trois cents pages. Il faut avouer que cette réédition le sert aujourd’hui beaucoup, la pimpante couverture écarlate et la reprise des
Zuleika Dobson de Max Beerbohm - Traduction de l’anglais par Philippe Neel (entièrement révisée par Anne-Sylvie Homassel), Monsieur Toussaint Louverture, 352 pages, 16,75 €