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Traduction Grazyna Erhard*

septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116

Les Pérégrins d’Olga Tokarczuk

Fascinée par l’imagination foisonnante et l’univers si original d’Olga Tokarczuk, j’ai souhaité, après la traduction des Récits ultimes, me mesurer à son nouvel ouvrage, Les Pérégrins. Née en 1962, cette romancière et essayiste est plébiscitée tant par le public que par la critique, comme en témoignent les nombreux prix littéraires, dont celui du Meilleur Livre étranger pour son roman Dieu, le temps, les hommes et les anges, publié en 1998 chez Robert Laffont. Vera Michalski a bien voulu me confier la traduction des Pérégrins pour sa maison d’édition Noir sur blanc et, heureux hasard, nous avons appris le lendemain de la signature de mon contrat qu’Olga Tokarczuk venait de recevoir, pour cet ouvrage, le plus prestigieux prix polonais – le NIKÉ.
Ce livre est un texte hybride, mêlant fiction, essais, notes personnelles, bribes d’observations prises sur le vif. Les nombreux récits ne sont qu’en apparence indépendants les uns des autres. Les fils de ces histoires s’entrecroisent, tissant habilement un motif commun qui est celui du voyage. Selon Olga Tokarczuk, le voyage reflète la réalité du monde contemporain, caractérisé par le mouvement, l’instabilité, la précipitation. Il ne s’agit pas seulement du voyage dans l’acception la plus courante du terme – un banal déplacement géographique –, mais aussi des voyages dans les tréfonds du corps humain et de ceux qui permettent d’explorer la Terre, de percer les mystères du cosmos. Cette savante construction polyphonique traduit l’éclatement, la fragmentation de la perception du monde par les nomades des temps modernes que nous sommes. La trame de ces quelques dizaines d’histoires est rebrodée de motifs récurrents, tels les pèlerinages, l’eau inondant le monde, le sang inondant le corps, les diverses formes que revêt la quête de l’immortalité, l’aspiration à conférer un ordre à un monde chaotique, à donner un sens à la vie, face à l’inéluctabilité de la mort et de la désintégration de toute chose.
La richesse des thèmes abordés dans Les Pérégrins implique l’emploi d’un lexique très varié, spécialisé, ainsi que d’un vocabulaire et de tournures propres à diverses périodes historiques. Par ailleurs, ce livre abonde en citations d’ouvrages et en références mythologiques ou philosophiques. Le traduire m’a demandé, par exemple, de me pencher sur la littérature de la Grèce antique, sur le cartésianisme ou sur la technique de la plastination des corps humains. J’en profite ici pour remercier les amis qui m’ont servi de consultants dans les domaines de la médecine et de la philosophie. De son côté, Olga Tokarczuk n’a pas ménagé son temps précieux pour répondre à mes innombrables questions, m’aidant ainsi à clarifier le sens de certains passages. En effet, elle privilégie les ellipses, l’ambiguïté et laisse volontairement bien des choses dans le vague.
Chaque traducteur a sa méthode de travail. Loin de moi l’idée de recommander la mienne aux autres, surtout à ceux pour qui la traduction constituerait la seule activité salariale ! Perfectionniste invétérée, je travaille avec une extrême lenteur. Je commence toujours par une traduction la plus littérale possible. À partir de cette trame, je m’applique à affiner le style, à rendre la langue plus fluide, plus expressive, tout en luttant contre la tentation de marquer le texte de ma touche personnelle. Dans le cas des Pérégrins, j’étais amenée à tenir compte de ce qui, dans le texte original, était obscur ou semblait contradictoire. J’ai dû ajouter les explications qui s’imposaient, soit par la traduction même, soit par des notes en bas de page. Ce n’est qu’après un temps de pause, nécessaire pour laisser mûrir ma réflexion, que j’aborde l’avant-dernière étape, la plus délicate : l’oreille attentive à percevoir la voix de l’auteur, je cherche à trouver le ton juste. C’est le moment d’éliminer les scories – les longueurs, les redites –, de gommer les aspérités du style, en lisant chaque phrase à mi-voix, à l’affût des fausses notes. Coller au plus près de l’écriture d’Olga Tokarczuk – écriture spontanée, nerveuse, échevelée, avec des phrases courtes, émaillées de métaphores, d’aphorismes – était une tâche d’autant plus ardue que les systèmes linguistiques du polonais et du français ne coïncident guère. La langue polonaise est beaucoup moins exigeante en ce qui concerne la clarté, la logique du récit, l’emploi des temps, alors que le français exige plus de rigueur et de précision. Puis, talonnée par les délais, je dois passer au toilettage définitif du texte, traquant les dernières fautes, les coquilles.
Quand on examine un texte littéraire à la loupe, qu’on en dissèque chaque phrase, le désir d’exprimer autrement les mêmes idées émerge fatalement. Le traducteur se cantonnera-t-il dans son rôle d’humble tâcheron, censé rester transparent, invisible ? Ne sera-t-il pas tenté de s’autoriser plus de liberté, au risque de s’éloigner sensiblement de l’écriture de l’auteur et de produire une œuvre tout à fait différente ?
Faut-il avoir peur du traducteur ?

* A traduit entre autres Slawomir Mrozek, Olga Rozewicz, Andrzej Stasiuk. Les Pérégrins d’Olga Tokarczuk paraît ce mois-ci aux éditions Noir sur blanc.

Grazyna Erhard*
Le Matricule des Anges n°116 , septembre 2010.
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