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Domaine étranger De l’eau qui dort

septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116 | par Marta Krol

Avec Maudit soit le fleuve du temps, le Norvégien Per Petterson taille une vue en coupe sur ce qu’est vivre.

Maudit soit le fleuve du temps

Quelque chose de déchirant en même temps que tranquille, comme une mince fracture involontairement perpétuée, se dit à travers ces pages lentes et puissantes, amenant des masses de vécu arrachées à tel ou tel bord d’une existence. Celle avant tout d’Arvid, celui qui dit je, et qui à 37 ans vit le cataclysme d’un divorce. De n’être plus aimé de celle qui « avait été toute sa vie depuis quinze ans et qui bientôt ne le serait plus » ouvre une large blessure dans le tissu de son expérience, pour libérer tout ce qui s’y est produit et sédimenté de douloureux, d’impensé, et de refoulé. Et notamment, une histoire d’amour premier, et le plus déçu de tous : celle avec sa mère. Femme intrigante, courageuse et réservée, elle apprend avoir un cancer et prend aussitôt le chemin de son pays natal, le Danemark, pour y accomplir ce dont elle éprouvait un besoin intime et en quoi Arvid – ce fils dont elle « ne sait pas que faire » – va, contre son gré, l’accompagner.
La complexité des rapports entre mère et fils est à la mesure de celle de leurs histoires respectives, les deux se livrant sur un rythme retenu, prudent, incomplet. Elle, a eu quatre fils ; celui qui se fait présent au moment crucial de sa vie n’est pas son préféré, d’autant qu’une nouvelle fois il est plus en demande qu’elle d’aide et d’assistance, et elle n’y pourra répondre que de peu (l’auteur de la 4e de couverture a-t-il lu l’ouvrage ?) : « Et j’ai peut-être vu à son dos qu’elle faisait un effort, qu’elle déplaçait le centre de la gravité de son corps pour se détacher du lieu où elle était dans ses pensées et se rapprocher mentalement de moi ».
Per Petterson, l’un des plus importants romanciers norvégiens dont le lecteur français découvre là un quatrième titre (après Jusqu’en Sibérie ou Pas facile de voler les chevaux…), excelle dans cet art de saisie d’états intérieurs à travers des configurations des corps, animés ou pas ; dans cette harmonie tracée entre émotions et sentiments d’une part, objets et environnements de l’autre : « j’avais toujours entendu les trains de marchandises ; par la fenêtre ouverte me parvenaient le bruit des roues d’acier sur les rails d’acier et la longue et curieuse plainte des freins. Puis les wagons s’ajustaient les uns aux autres dans un entrechoquement de métal. Main dans la main, me disais-je alors, épaule contre épaule ; des bruits consolateurs dans l’obscurité silencieuse ». Aussi, n’est-ce pas la moindre qualité du roman que de faire accéder le lecteur, à la faveur d’une écriture précise et sensible, à un univers physique que l’on connaît peu, celui d’un pays scandinave, où la nature peut être inattendue : « Il y avait des effluves âcres d’algues sèches et de méduses en décomposition sous la lumière aveuglante. Il y avait l’odeur de la mer et le parfum lancinant des oyats (…) » et dont les paysages urbains sont rendus avec une efficience quasi plastique qui n’est pas sans rappeler W.G. Sebald.
Dans ce décor évolue Arvid, incertain, passif et plutôt insatisfait, en vrai homme sans qualités : « Mais mon cerveau semblait souffrir d’inattention, il n’était plus qu’une tache de téflon où tout glissait (…). Dans ma vie, je ne faisais attention à rien ; des choses se passaient et je ne les enregistrais pas. Des choses importantes ». C’est le côté inconsistant, fuyant et insignifiant du processus de vivre, tissé qu’il est d’une continuité temporelle sur laquelle il est impossible de toujours intervenir, que ce personnage incarne de manière aussi convaincue que troublante. Dans son inertie il en arrive à souffrir d’avoir une identité : « une partie de mes problèmes seraient réglés si j’avais un père inconnu et sans nom qui se promenait dans les rues obscures, vêtu de son vieux pardessus et portant les chaussures que ma mère lui avait données. Qui se promenait sans trêve à la recherche d’un endroit à lui, un endroit pas bien grand (…) où je me serais terré, recroquevillé dans un coin sombre (…) ». Tandis que l’un de ses frères, bâtard, a la chance d’être : « un enfant né dans le secret et la honte au large du Danemark, entre oyats et moutons, sur une île appelée Læesø. Elle y était partie en toute hâte, alors que mon frère était encore un poisson d’argent dans son ventre. Et cela créait entre eux une complicité dont j’étais exclu. Il portait le soleil et la souffrance dans son corps, il évoluait dans un monde d’écume et de mer bleue ».
Englué dans l’aboulie qu’il produit lui-même, l’homme subit les pleins comme les creux de sa trajectoire. Même le communisme, la seule valeur qu’il ait choisie en devenant volontairement ouvrier, il n’en n’avait pas vu l’échec, surpris par la nouvelle de la chute du mur de Berlin : « le temps avait agi dans mon dos et je ne m’étais pas retourné ». Et pourtant, une sourde ténacité, une fidélité à soi, un espoir mince mais capable, sous-tendent les existences chaotiques et imparfaites. Oui, quelques accords vrais à propos de l’humain se lèvent de l’écriture de Per Petterson, qui disent la violence, l’inconsistance, la persévérance, et le besoin de l’autre.

Marta Krol

Maudit soit le fleuve du temps
de Per Petterson
Traduit du norvégien par Terje Sinding
Gallimard, 234 pages, 18,50

De l’eau qui dort Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°116 , septembre 2010.
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