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Domaine français La chute de l’ange

septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116 | par Jérôme Goude

À travers l’exégèse d’un document intriquant signes religieux et Occupation, Laurent Cohen livre un premier roman subtil en diable.

Souffrant de neurasthénie et d’hallucinations visuelles, Loïc Rothman, historien-chercheur fourvoyé, met un terme à sa brève carrière professorale, ne s’accommodant plus de l’inexpressivité estudiantine. Après avoir fait une thèse de doctorat sur les affiches de propagande pétainiste et s’être intéressé à la correspondance entre Céline et l’agent de la collaboration française Fernand de Brinon, il tente de soigner son « ataraxie tombale » en rédigeant une histoire de la bourgeoisie occupée. Une bourgeoisie parisienne avide de plaisirs qui ne voyait aucun inconvénient à ce que coït et mitraillettes s’acoquinent. Un événement saillant va sensiblement aiguiller ses investigations : la présence, à l’Institut Braque qu’il a réintégré en tant qu’archiviste, parmi la bibliothèque d’un certain Germain Nimier, psychiatre et ami de la résistance, d’un document historique où abondent mots d’araméen, versets bibliques, sceaux et diverses graphies. Dans l’une des nombreuses librairies catholiques du 6e arrondissement de Paris, bien que tout en lui « répugne au numineux », l’annonce d’un colloque intitulé « L’âme et le temps » l’invite à forcer la rencontre d’un spécialiste de l’angéologie.
D’un chapitre à l’autre, la première partie de Sols change de point de vue narratif, comme pour signifier l’inadéquation fondamentale des récits de S.G. et de Loïc Rothman, le caractère à la fois inédit et improbable de leur confrontation. Le 3 mars 2006, une fois sa conférence sur la mortalité angélique parachevée, S.G. est, à deux reprises, apostrophé par l’archiviste qui évoque l’exécution du chef milicien Frège par le docteur hermaphrodite Liosa Roméro. Habitué à côtoyer de « grands obsédés d’alchimie, ésotérismes, gnoses (ou) disciplines de l’arcane », celui dont la passion est née le jour où un veuf épileptique lui parla des Zatras – aborigènes dont les femmes « étaient censées déféquer toutes sortes de créatures surnaturelles » – avoue avoir été déconcerté par l’« étrangeté en coin » de Loïc. Cependant, parce qu’il peut se prendre d’affection pour un épicier de la nuit originaire de Tunisie et qu’il rêve d’une « communauté curieusement cimentée par la dissemblance », S.G. ne saurait refuser le confort de son salon à l’intrépide historien. Quand bien même la connaissance aurait longtemps été « fille de la dévotion », et l’angéologie plus soucieuse d’altérité, notre théologien, lecteur avisé de Gershom Scholem, acceptera d’entendre Loïc. Comme il acceptera, une fois reçu un « jeu de photocopies » du fameux document de Nimier, de décrypter ses éléments mystiques, spirituels et théologiques.
Texte augmenté dans le texte, la deuxième et avant-dernière partie de Sols, n’est autre que le fruit de l’analyse inconciliable menée, et par S.G., et par Loïc Rothman. Un intellectuel-philosophe, conteur radiophonique, y fait le récit de son existence recluse dans le Paris des années noires. Nos deux érudits annotent et commentent ; Laurent Cohen nous transforme en acrobates du détour curieux de pénétrer les messages secrets de cet homme qui, parce que pour beaucoup un singe et un anti-citoyen – rappelons-nous que des concours sur le sort à réserver aux Juifs étaient alors organisés –, multiplie les identités. Logé clandestinement par un ami et sa sœur dès février 1940, lui, l’inconnu dont le combat, à l’aube sinistre du 14 juin, ne s’exprimait qu’à travers l’étude du Talmud de Babylone, demandera à ce qu’on lui fournisse le « matériel de propagande ordinaire » : Le Pilori dirigé par Robert Pierret, la théorie de Charles Maurras, les œuvres de l’abbé Flavien Brenier. Pierret, Charles Maurras, Flavien Brenier et toutes les feuilles de chou des antisémites notoires corroborant l’énoncé de l’Ecclésiaste selon lequel la « supériorité de l’homme sur l’animal est nulle ».
S’il n’est pas sans rappeler l’écriture encyclopédique de Pierre Senges, Sols frappe par l’originalité de l’usage des savoirs qu’il convoque. De scolies en notes de bas de page, la lecture est continuellement dévoyée, puis titillée par une accumulation croissante de références. Séraphins et démons ; Lilith (goinfre de sperme d’adolescents) et l’Archange Métatron ; reîtres de la « France vraie » et résistants ; sciences humaines et Kabbale ; sols (sept ciels séparant l’homme de l’infini) et sous-sol (celui où sont terrés des disciples du hassidisme), Walter Benjamin et Brasillach, etc. : Laurent Cohen oppose les contraires dans un roman où le sens même échappe à toute prise définitive. Où l’Histoire flirte avec la folie. Et où l’homme, fût-il à l’image de Job ou de Loïc, emporte jusque dans la révolte et le sommeil de la raison le secret des forces antagonistes qui le minent et l’animent.

Jérôme Goude

Sols
de Laurent Cohen
Actes Sud, 165 pages, 18,80

La chute de l’ange Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°116 , septembre 2010.
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