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Domaine français Le temps suspendu

septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116 | par Richard Blin

Derrière l’histoire croisée de l’aviation et de la vie de son père, c’est à l’essence romanesque de chaque vie, et à l’impensable loterie dont elle dépend, que s’attache Le Siècle des nuages de Philippe Forest.

Le Siècle des nuages

À l’image de ces fleurs périssables que sont les nuages, les vies passent, dévalant vers le néant le vide « avec lequel tout s’arrête ». N’en subsiste rien, sinon l’empreinte immatérielle d’une expérience unique, et le sentiment d’une fondamentale énigme, tant ce qui les fonde relève d’événements aléatoires.
Que reste-t-il d’une vie, sinon peut-être ce que l’on peut en dire ? Mais qu’en sait-on au juste, qu’est-il possible de savoir d’un homme dont la vie, par exemple, s’inscrit en filigrane d’un des rêves du vieux XXe siècle – celui de l’aviation ? D’un homme – le père de l’auteur – dont la vocation est peut-être née en voyant, enfant, les hydravions d’Imperial Airways, qui desservait les principales destinations du Commonwealth, se poser sur les eaux de la Saône, du côté de Mâcon, où il habitait.
Quand il naît, en 1921, il y a déjà dix-huit ans que les frères Wright ont expérimenté le premier engin volant et douze que Blériot a traversé la Manche. Âge héroïque qui vit le monde entier s’enthousiasmer pour des casse-cou expérimentateurs et des pionniers bricoleurs. L’histoire de l’aviation était née et allait se confondre avec celle du XXe siècle. Mais, dès 1914, avec la guerre, le ciel devint l’espace d’un nouveau champ de bataille et l’avion fut aussitôt mis au service de la barbarie, ce qui n’empêcha pas le siècle de continuer à croire que la « conquête de l’air » permettrait d’unifier l’univers et d’œuvrer à l’avènement d’une humanité pacifique et prospère – un rêve « sur lequel la guerre n’a rien pu, et qu’elle a même renforcé en lui donnant la dimension tragique qui lui manquait un peu, celle qui double l’optimisme d’un revers de nuit. » Utopie magnifique dont Philippe Forest évoque les héros – Lindbergh, Mermoz, Guillaumet ou Saint-Exupéry – autant que la face noire, celle de la barbarie dévastatrice.
C’est sur cette toile de fond historique que se détache donc l’histoire de ce père obtenant, à 17 ans, son brevet de pilote, à qui l’exode apportera l’amour, et qui, parti poursuivre ses études à Alger, se retrouvera aux états-Unis où il deviendra pilote de chasse dans l’Army Air Force, avant d’être choisi comme moniteur instructeur, ce qui le frustrera à jamais « de sa guerre ». Un homme qui, de retour en France, entrera à Air France pour y devenir commandant de bord et finir sa carrière, au début des années 80, aux commandes d’un Boeing 747. Un père qui de l’aviation s’était fait une sorte de religion, et qui donnait toujours l’heure en GMT + 1 « comme s’il avait vécu dans un temps parallèle, imperceptiblement décalé » par rapport à celui de ses enfants, et semblant flotter « dans le nulle part d’un espace sans limites ni frontières ».
Mais, outre la manière d’éclairer toute une époque, ce roman vaut aussi pour la façon dont il interroge la notion de biographie, et questionne les rapports de la vérité à l’obscur. Une vérité biographique qui n’existe que si elle se trouve inventée, tant il s’agit, à partir de quelques bribes invérifiables de souvenirs, de conjectures et d’investigations imaginaires, de construire une hypothèse vraisemblable « afin de rendre compte de ce qui, malgré tout, restera toujours inintelligible ». En allant au devant de ce qui se dérobe, celui qui raconte arrange les anecdotes, « falsifiant ainsi la formidable inconsistance du passé », l’événement le plus important n’ayant jamais « que la valeur esseulée d’une anecdote ne témoignant que pour elle-même, dépourvue de toute relation vraie avec ce qui vint avant ou avec ce qui viendra après ».
Ce que montre bien Philippe Forest, c’est qu’une vie loin d’être un tout homogène et lisse, relève de l’arbitraire, des résultats d’une loterie journalière d’événements « arbitrairement décidés par la rencontre hasardeuse de deux accidents ». Qu’elle est soumise au même mouvement « sans rime ni raison » du temps qui construit et déconstruit sans cesse le spectacle offert par les nuages. Si bien qu’« il n’y a pas lieu de s’étonner de ce que toute vie ait l’air d’un roman puisque raconter sa vie, ou bien celle d’un autre, revient très exactement à lui donner cette allure de roman qui la fait seule exister ». Parce que son mystèreest impartageable et que chacun n’est que la somme inconsistante de tous ses avatars.
Le Siècle des nuages ne cache rien de la violence de la vérité, de « la pathétique iniquité du destin », comme de ce pur passage parmi les apparences à quoi se résume une existence. Ainsi, ce père, constatant à la fin de sa vie que « tout ce à quoi il avait cru cessait insensiblement d’exister pour les autres ». D’où la grande ombre de saudade cernant ces pages où la méditation sur le temps et la mort le dispute à la nécessité de perpétuer la mémoire des disparus comme pour mieux prolonger et achever leur existence.

Richard Blin

Le Siècle des nuages
de Philippe Forest
Gallimard, 560 pages, 21,50

Le temps suspendu Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°116 , septembre 2010.
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