Tandis qu’un corbillard s’avançait dans le brouillard, suivant l’air connu, sait-on bien ce que faisait Marc Michel ? Aussi pénible qu’il soit de l’admettre, Marc Michel s’esclaffait. Oui, il s’esclaffait, armé de sa plume, au-dessus du récit qu’il avait intitulé Pohol et que publierait, les 7 et 8 novembre 1832, le grand journal quotidien du Sud, Le Sémaphore de Marseille, celui-là même qui accueillera plusieurs centaines d’articles d’Émile Zola à la fin du siècle. Le récit de Marc Michel, qui signait jusqu’alors ses jeunes essais du pseudonyme plein d’autodérision de « Scribomane Job », connut un succès fou : repris en 1835 dans la Revue française, fondée en 1835 par Emmanuel Gonzalès, le fondateur du Juif errant (1834-1835) et de la Revue des voyages (1852-1853), il paraîtra encore en 1837 dans L’Anti-Camaraderie en deux livraisons de printemps. Son Pohol avait de quoi séduire.
à l’instar des écrits de Pétrus Borel, qui n’apparaîtra sur la scène littérature qu’un an plus tard, en 1833, avec ses Rhapsodies, et des romantiques que l’on dit frénétiques, ce Pohol avait tout pour convaincre les gens d’esprit. Plein d’une noirceur toute funèbre et vouant son personnage à la malédiction d’un destin toujours plus sombre, il se présentait sous la forme de quelques pages aimablement tracées, ponctuées d’adresses malicieuses au lecteur, vives et terriblement amusantes. « Vous voyez ? »
On y reconnaissait, et l’on y reconnaît toujours, les exubérances terribles du roman noir anglais issu du XVIIIe siècle dont Maurice Lévy a dressé le tableau formidable dans son essai Le Roman « gothique » anglais (Albin Michel, 1995). Roman noir ou roman gothique, c’est selon, Marc Michel en avait lu son comptant et n’avait pas manqué d’en saisir les ficelles. C’est ainsi qu’il imagina son séminariste hanté par l’idée de malédiction, rejeté par les prêtres, rejetant à son tour celle qui l’aimait, pour tomber amoureux à son tour au milieu des tombes du Père-Lachaise. Tout cela finit mal, bien sûr, et une prochaine édition prévue pour l’automne donnera les fins maux de cette histoire drôlement tragique. Xavier Forneret, Pétrus Borel ou Charles Lassailly n’étaient décidément pas loin…
Lorsque Marc-Antoine-Amédée Michel est entré en littérature, à l’âge de 24ans, c’est par la satire qu’il entendit se faire remarquer. Bonne nature, le jeune homme natif de Marseille – il y est apparu le 22 juillet 1812 – mettait ses pas dans les traces laissées par ses pays Joseph Méry (né en 1797) et Auguste Barthélémy (né en 1796) qui s’étaient illustrés dans le registre coruscant en pastichant Voltaire pour brocarder le pouvoir en une Villéliade (1826) très appréciée On peut imaginer que leur cadet suivit cet exemple prometteur et ne semble avoir manqué de bonne humeur au moment de produire ce Pohol si terrible, si lugubre, en un mot : si maudit… Mais cet admirable détournement des topoï littéraires d’une époque n’engloutit pas toute l’imagination. Le biographe Gustave Vapereau, producteur du Who’s Who de son temps, en resta impressionné qui ne s’ôta guère de l’idée que Marc Michel avait débuté par des « vers lugubres » dans la Revue de France… « L’autre nuit dans mon lit j’étais couché, malade,/La fièvre ardait mon front,/alourdissait mes yeux ; –/J’étais mal. – Des pensers mornes et soucieux/Passait dans mon cerceau la noire cavalcade. » On put lire aussi une Élégie, des vers ambivalents d’hommage à Alfred de Vigny – où il est surtout question de sa postérité… –, des amours mortes, et d’autres follement amusantes du même ordre.
Après des études à Aix-en-Provence et ses premiers éclats de rire sur le Vieux Port, Marc Michel « monta » à Paris en 1834, rit encore avec son vieux Pohol et fit des siennes dans la presse parisienne qui n’oublia pas son passage. S’il changea de style dans l’exercice de la critique pour la Revue du Théâtre, il trouva moyen de distraire avec esprit les lecteurs de la rubrique des comptes-rendus de la police correctionnelle du Journal général des tribunaux et même du Droit qui vibra entre 1838 et 1845 d’une verve comique inusitée jusqu’alors en ces dignes pages. Qui doutera encore qu’il s’agit là d’un tempérament ?
Occupé parallèlement à des feuilletons pour la presse quotidienne, il consacra beaucoup de son temps à écrire et à faire jouer des pièces de théâtre plutôt… gaies. Collaborant avec une « foule d’auteurs », il écrivit souvent à quatre mains avec Eugène Labiche, usant dans ces occasions du pseudonyme collectif de Paul Dandré. On a pu dire ensuite, comme le relevait Vapereau, qu’il était « devenu un des fournisseurs ordinaires de nos scènes de vaudevilles ». On dénombre plus de cent pièces… Parmi les plus applaudies, il y aurait lieu de citer M. de Cottey, ou l’Homme infiniment poli (1838), Une femme qui perd ses jarretières (1851), Maman Sabouleux (1852), Ôtez votre fille, s’il vous plaît (1854), Mme de Montenfriche (1856), J’ai perdu mon Eurydice (1860)… La spécialité de Labiche est restée dans les annales, c’est cette « excentricité bouffonne de situations et de langage » qui l’ont fait blâmer par les snobs. Reste qu’il est dommage que les proses de Marc Michel soient restées si longtemps dans son ombre. Elles étaient à l’abri de la corrosion, certes, mais elles risquaient d’y attraper une tenace odeur de sépulcre…
Eric Dussert
Égarés, oubliés Rire et châtiment
septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116
| par
Éric Dussert
Méridional de belle humeur, Marc Michel s’adonna au romantisme funèbre, exubérant – et ironique – avant de déployer ses trésors d’humour aux côtés d’Eugène Labiche.
Un auteur
Rire et châtiment
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°116
, septembre 2010.