La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poches Essais de mémoire

septembre 2010 | Le Matricule des Anges n°116 | par Thierry Cecille

Parcourir l’espace, c’est aussi, souvent, fouiller le temps : Michel Chaillou nous permet d’en faire l’expérience, sur les terres de Montaigne, aux bords de la Dordogne.

Domestique chez Montaigne

Un titre est parfois trompeur : qui s’imaginerait trouver ici, autour de quelque domestique chez Montaigne, une reconstitution historique, au pire téléfilm en costumes, au mieux méditation et recréation subjective (pensons à la belle collection « L’un et l’autre » à laquelle Chaillou d’ailleurs collabora) en sera pour ses frais. C’est un labyrinthe qu’il nous faut ici explorer, apprivoiser – et sans autre fil d’Ariane que la curiosité, rapidement mise en appétit, et le plaisir du texte.
C’est un dimanche d’automne, le 23 septembre 1980 (le livre parut, initialement, en 1982), nous sommes à Saint-Michel-de-Montaigne et dans les villages avoisinants, il y a bien une sorte de domestique, un jardinier, un homme à tout faire plutôt, là-bas, dans ce qui reste du château, on le prénomme Alex. Il a une femme, qui vaque aux occupations du ménage et qui surtout – si l’on ne s’égare pas dans les prénoms – guide, au château et jusque dans la librairie (la bibliothèque) de Montaigne, des touristes qui tentent de lire les inscriptions latines et grecques à demi effacées sur les poutres du plafond (ainsi, de Terence : Homme, je m’intéresse à tout ce qui tint à l’homme). On croise aussi un curé, un ivrogne tenancier d’auberge (L’Amérique !), des chasseurs avec leurs chiens, des vieilles remâchant de vieux ragots. Au milieu de cette faune assez exotique se promène le personnage principal (employons ce terme par commodité), Gabriel, installé là depuis une semaine déjà, simple admirateur de Montaigne ou universitaire, historien, personne ne le sait précisément, qui vagabonde, interroge, enquête, fait la sieste dans la chaleur de l’après-déjeuner, consulte distraitement les cent volumes de sa « bibliothèque de vacances », éparpillés à travers la chambre de son hôtel modeste, mais aux fenêtres s’ouvrant sur le vaste paysage.
On l’aura compris sans doute : le fil narratif est bien mince, l’action (presque inexistante donc) se concentre sur une journée, les heures s’égrenant, marquées par les variations de la lumière de l’automne commençant, les cloches de l’église, les activités de chacun. L’essentiel est ailleurs : Chaillou entremêle ici, avec une sorte d’appétit d’ogre, les hommes et les bêtes, les paysages et les objets, et les siècles aussi. Sans crier gare, il passe de ce présent de 1980 (mais qui nous semble plus proche du temps de Montaigne que du nôtre !) à ces années où l’ancien conseiller au Parlement de Bordeaux se retira, « l’an du Christ 1571, à l’âge de 38 ans », une fois sa tâche accomplie, pour se livrer, lui aussi, au plaisir de rassembler, sur du papier, avec des mots, les bribes de ses pensées, d’essayer son esprit sur toutes les matières qui, au hasard, s’offriraient à lui. Puis d’autres temps encore viennent ici se superposer, d’autres couches d’existence se mêler : l’enfance de Gabriel ou d’Alex, les aïeuls ou les descendants de Montaigne, les visiteurs qui, au fil des siècles, redécouvrirent ce château presque complètement détruit et qui laisse donc libre cours aux imaginations fertiles.
Chaillou, pour tisser ce complexe tissu de temps, (« je m’emmêle, moi l’informe, le serf d’une imagination de combien d’âmes  ») doit aussi inventer une langue : elle concourt, au début, à nous désarçonner, nous laisse perplexe (s’agirait-il seulement de tics d’écriture, de préciosités ?) – mais peu à peu nous emporte. Drue et précise à la fois, mêlant avec gourmandise les noms propres des paysans et des rivières, des lieux-dits et des produits des champs, archaïque et artiste (quelque chose de Michon et des frères Goncourt en même temps), elle doit, lente en bouche, se déguster – comme un Bergerac robuste ou un Entre-deux-mers fruité.

Thierry Cecille

Domestique chez Montaigne
de Michel Chaillou
Gallimard, « L’imaginaire », 277 pages, 7,50

Essais de mémoire Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°116 , septembre 2010.
LMDA papier n°116
6,50 
LMDA PDF n°116
4,00