Alfred Eibel est un personnage sur la place de Paris. Désormais chenu, il est depuis 1974 l’homme entreprenant, non sans grandeur, la plaque tournante de mille et un projets, l’homme des connexions et des bonnes lectures qui a grandi en même temps que les Sorin et Guégan du Sagittaire. Editeur, anthologiste, préfacier, romancier (Le Chien merveilleux, Acropole, 1987) et critique, il n’avait pas eu encore son jubilé et le printemps 2011 remédie à la lacune en proposant un tir groupé d’ouvrages qui sont autant de pistes d’excellentes lectures.
Lancé dans l’édition comme un boulet avec un pavé intitulé Hors commerce – la jeune maison du Sandre réédite ce pavé de monumentale inconscience commerciale –, Alfred Eibel éditeur donna corps à des ouvrages d’Etiemble, Roger Judrin (dont il préside l’association des amis), Georges Perros, Yves Martin, Claude Schmitt, ou Jean-Pierre Martinet qui lui doit le sursaut d’audience qu’il connaît depuis quelques années. Discret quant à lui, il aura fallu un regain d’intérêt pour le patrimoine culturel qu’il représente désormais pour qu’il accepte de dénouer la bourse de ses souvenirs et de montrer ses trophées.
Né le 5 avril 1932 à Vienne, Alfred Eibel est l’héritier cosmopolite d’une Mittleuropa disparue. A tel point qu’on ne serait pas étonné de le voir crever l’écran dans les rues où fraye M le Maudit. Fils d’un militaire qu’il ne connaîtra pas et d’une mère qui se remarie à un riche industriel tchèque, juif et consul de Belgique en Tchécoslovaquie, il assiste à l’arrivée d’Hitler à Vienne, menace que sa famille fuit pour Bruxelles où il fréquente les meilleures institutions pédagogiques.
Lâchant le manche de sa maison d’édition au début des années 1980 – sa bibliographie figure sur l’alamblog.com –, il prit la direction d’une collection chez Flammarion puis s’adonna totalement à la critique littéraire. Son nom figure dans bon nombre de journaux depuis Le Quotidien de Paris jusqu’aux Nouvelles littéraires en passant par les Lettres françaises, sans oublier Matulu, fugace journal de rare effusion.
Ami de Fritz Lang qui l’invita à habiter son home d’Hollywood, Alfred Eibel sut toujours garder l’œil lorsqu’il s’agissait de littérature et de cinéma – ses amis sont autant de cinéphiles. Du polar aux écrits de Chine, il s’adonna aux belles pages tout en se gardant des modes et du qu’en dira-t-on. L’avenir dira s’il a su s’y prendre, mais la liste de ses collaborateurs et le sommaire des recueils critiques qui paraissent montrent assez bien ce qu’il en est. Il est ainsi probable son nom reste accroché à ceux d’Yves Martin, Gabriel Matzneff, Noël Devaulx, Bernard Delvaille ou Roger Judrin – aux côtés de Pessoa, Prokosch, Léo Malet ou Dalton Trumbo, tous collaborateurs anthumes ou posthumes de son fameux Hors commerce, comme Jim Thompson qui y publiait un récit inédit, La Cité des gens merveilleux, et comme Jean-Pierre Martinet avec lequel il échangeait une correspondance salée dont une partie...
Dossier
Jean-Christophe Bailly
Drôle de paroissien
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Éric Dussert
Fils de la bourgeoise autrichienne, Alfred Eibel est une figure singulière du Paris littéraire. Lié au monde du polar, du roman noir et à quelques écrivains très denses, il a été critique durant quarante ans. Jubilé.
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