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Intemporels Le poids des mots

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Didier Garcia

De l’amour heureux à la violence conjugale : l’itinéraire d’un couple ordinaire, porté par la langue savoureuse de Jean Meckert.

Encouragé par Gide et Queneau, entre autres passeurs de talents, Jean Meckert (1910-1995) est surtout connu pour la vingtaine de romans qu’il a publiés dans la Série Noire sous le pseudonyme de Jean Amila à partir de 1950. Mais avant de consacrer sa vie au polar, il avait rédigé cinq romans traditionnels, dont Les Coups, publié en 1942.
La première phrase donne d’emblée le ton, sinon la manière : « J’avais été m’asseoir ce jour-là, tout seul sur la berge, comme un pêcheur, avec les pieds au-dessus de la flotte. » Inutile de s’attendre ici à beaucoup de chichis : la langue de Meckert sera souvent verte.
Au début de ce premier roman, c’est le printemps. La saison idéale pour revenir à la vie, et retrouver le chemin du désir. Surtout quand on est au chômage et qu’on a 25 ans, comme Félix, l’anti-héros du roman : « J’étais plus assez, avec moi seul, j’en avais marre de moi, j’en avais fait le tour. »
Le moyen le plus sûr pour revenir à la vie, c’est de se trouver un emploi. Pour Félix, ce sera manœuvre dans un atelier de mécanique. Et une fois l’emploi trouvé, le salaire garanti, un costard de printemps acheté, il lui manque quand même quelque chose : une femme, pour peupler sa solitude. Comme souvent dans les romans, le hasard fait bien les choses, car à l’atelier il y a Paulette, la petite dactylo chère à Apollinaire. Elle est mariée, ce qui est certes un peu gênant, mais avec un soi-disant artiste qui l’exploite et qui n’arrive à rien. Poussée par son nouveau courtisan, elle va bientôt rompre. Pour Félix, tout n’est alors plus que fête : dehors, il y a des jardins avec des gosses, « des cours d’eau et des envies de se photographier ». Le quotidien change brusquement de visage : désormais, ce sont des déjeuners en famille, des discussions oiseuses la bouche pleine, des repas qui puent « l’urine de commère », et des dimanches midis passés à juger les autres en s’embourgeoisant tranquillement, au grand dam de Félix qui déteste les conventions et les esprits bien-pensants. Au premier réveillon de Noël, l’ambiance dégénère : Paulette est soule, Félix et les autres furieusement avinés, le ton monte, et le lendemain Félix se voit contraint de faire amende honorable auprès de sa future belle-famille.
Au bout de cinquante pages de réjouissances amoureuses, de grosses séances de « marrage » et de moments polissons, on se dit qu’ils ne vont pas pouvoir filer le parfait amour jusqu’à la fin du roman, et que leur affaire, tôt ou tard, tournera au vinaigre. Félix lui-même n’est pas dupe : il a compris que c’est « trop difficile d’aimer une femme et la vérité en même temps ». Certains soirs, une dispute éclate, peut-être uniquement parce qu’il faut sans cesse s’expliquer, dire pourquoi, dire comment, autrement dit recourir à des mots qui mentent, et avec Paulette, il y a en plus « une crise toutes les virgules ».
Malgré tout, la rupture pressentie ne vient toujours pas. Pire encore : leur baromètre amoureux se fige sur le beau fixe quand ils s’installent dans un studio, où ils peuvent enfin lever le pont-levis sur eux. C’est le bonheur parfait, lequel a toujours quelque chose d’un peu obscène. Tellement parfait qu’ils vont même se marier. Et la vie de continuer son bonhomme de chemin, de la salle d’un cinéma à un meeting communiste à Vincennes, avec de vraies émotions de gosse et des pensées de manœuvre (Félix se prend à imaginer une vie plus dorée pour Paulette : de beaux vêtements, une belle voiture, pour qu’elle ait l’air d’une dame). Une vie simple, finalement : « C’est rien que ça, la vie, des riens dont on se fait un monde ».
Un soir, lors d’une énième réunion familiale, les propos se durcissent, et au premier « pauvre imbécile » lâché, la main de Félix part toute seule. Désormais, les bouderies se feront plus fréquentes, les coups également, et l’irréversible va bientôt se produire (la violence conjugale ne pouvant les mener qu’à une séparation).
Le moins qui se puisse dire ici, c’est que l’histoire est modeste. Elle est même toute simple, sans la moindre prétention. Et pourtant, ce roman n’en finit pas de séduire. La langue de Meckert y est pour beaucoup. Le plaisir est d’ailleurs là, dans cette phrase savoureuse, succulente en diable, bourrée de néologismes qui ravissent : « se boissonner » pour boire un coup, « vasouiller », « se jésuiter la conscience »… Grâce à elle, le roman est autre chose que l’histoire d’un échec amoureux, et bien plus qu’un roman prolétaire. Ce que Félix combat, avec une maladresse qui attendrit, c’est la vulgarité de ceux qui le condamnent parce qu’ils savent exprimer leurs idées (qui sont surtout celles des autres), quand lui tâtonne, laissant parler ses émotions, ce qui nous vaut des phrases pleines de poésie et de fraîcheur. Comme si, malgré lui, le manœuvre cherchait, par ses propres mots, à nous montrer une autre réalité, à la fois plus authentique et plus juste.

Didier Garcia

Les Coups
Jean Meckert
Folio, 288 pages, 6,20

Le poids des mots Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.