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Choses vues Tournée d’été

septembre 2011 | Le Matricule des Anges n°126

Cet été on a eu octobre et un bout de novembre en plus de nos congés, du coup les gens avaient un air bizarre. Au café Pourpre où la terrasse est bien abritée des intempéries la patronne intérimaire chantonnait souvent des tubes un peu anciens, vers le soir, quand ça s’était levé et qu’on allait boire une bière blanche. Au bout de la rue du Château des Rentiers, juste avant le 15 août, les ouvriers du tramway ont déroulé le gazon artificiel, genre moquette verte à poil ras, qui grandit quand on la coupe. Des gens n’ont pas pu résister, le premier soir ils en ont piqué quelques mètres carrés sur les rails de la direction de la porte de Vitry : pour décorer qui leur chambre ou leur salle de bains ? Ou alors le pourtour de leur caravane selon Thierry, le gardien de mon immeuble, pour faire style aux Flots Bleus ? Plus on la coupe, plus elle pousse !

Des travaux partout par ici. Ils agrandissent à nouveau les anciennes usines Panhard Levassor. On aura à Paris de plus en plus de plaques commémoratives et de moins en moins de mémoire. Mais on garde quand même de chouettes cafés aux portes de Paris. Au grand café des Sports de la porte de Choisy, le soir, des jeunes gens Bcbg viennent se ravitailler sur les trottoirs avec un air innocent ou stressé, sous l’œil indifférent des solitaires, des turfistes, et des bonhommes qui invitent les dames à boire un demi, puis un autre demi, en discutant des petites histoires du coin avec leur sourire en coin, moi j’habite dans le coin, et toi aussi ? Ah oui, on a plein de points communs ! Au fait, j’ai de la Leffe chez moi. Cool ! Trop cool ! On y va ? Rien à voir avec celui de Massena, juste à la porte d’Italie, parfait pour boire un verre sur la terrasse dans le bruit des Maréchaux, avant de rejoindre Le Kremlin-Bicêtre, Vitry, Choisy, ou quelque plus lointaine banlieue où ça brille comme pas permis. Parfois, du côté des cités-dortoir douchées par le soleil couchant, on dirait que ça va finir par prendre feu. Est-ce que ça va finir par prendre feu ? Pas cet été en tout cas. Il faut être vraiment désespéré, ou assoiffé, ou très curieux, ou les deux, voire les trois, pour se risquer au Voltigeur de la porte de Vitry, de sinistre apparence, idem par réputation. Le café y est mauvais, la déco n’a pas bougé depuis le passage à l’Euro, on ne s’y parle pas. Parole, je n’ai pas dépassé celui de la porte de Gentilly dans l’autre sens, je n’ai pas terminé août poivrot. Je continuerai plus tard, ou peut-être dans un an. À quoi ça sert, faire ces choses-là ? Patrick, le meilleur gardien des Rentiers, s’est rendu lui presque chaque soir à l’Arche 13 au pied d’Ancône, porte d’Ivry. C’est le plus bondé du 13e à mon avis, à cause des activités P-et-Muesques et de tous les paris plus ou moins réglementés. Je n’y suis allé qu’une seule fois avec lui, mon cheval préféré se nommant garde-ton-pèze, j’ai été peu surpris de voir qu’il est loin d’être le favori des habitants de mon quartier.

Depuis un an j’attendais de le revoir ! Quand on est arrivé là-bas il avait neigé pas mal et il avait bonne mine, il se défend plutôt bien j’ai trouvé. Vers le soir il est presque rose ou parfois abricot, ou seulement un peu plus gris que le gris du soir. Il brille très clair dans la nuit, il n’a besoin que d’un croissant de lune, il fait exprès on dirait dès qu’on se lève, il prend bien soin de nous sans qu’on lui demande rien. Il craque assez souvent, de près. Mais ce ne sont que des vieilles douleurs sans âge qui ne lui font pas plus de mal que ça, alors bon. Le glacier de Bonnassay. Pas loin de lui et de son voisin des Bossons, à la Jonction où pour monter on souffle comme des bœufs, j’ai vu s’effondrer des gros éboulis. Dans la descente on a longé pendant pas mal de temps un torrent de montagne. Si on n’y prenait garde, on pourrait avoir envie d’y rester et d’être découvert en vieille momie ratatinée des centaines d’années plus tard. Le vieux glacier sera toujours là, le reste, les gens, les choses aussi et nos idées disparaîtront mais pas lui. De Sallanches, dans le plat de la vallée, on a remonté en longeant les stades de foot, de basket, de handball, le manège et les rampes de skate côte à côte. Sur l’une d’entre elles Jimmy Hendrix était peint à la bombe sur la rampe en béton, avec son air triste dans le ciel gris de ce jour-là. Tiens, pourquoi Jimmy Hendrix ? Dans quelques jours, les vacanciers seront presque tous partis et les gosses des écoles et des collèges avoisinants taperont de nouveau dans les ballons en ne tournant presque jamais les yeux vers la montagne où le glacier veille sur eux, sur nous aussi. Mais parfois, un môme s’arrête un bref instant pour le regarder et sa vie en est changée pour toujours. Faut dire qu’on se connaît depuis l’enfance, ce vieux glacier et moi. Parfois ma vie j’aurais dû la passer tout en haut, ou très à l’écart, ne jamais quitter tout ce blanc, mais ce serait très loin de la porte d’Ivry. Sur le chemin du retour je n’ai pas osé déranger ma nourrice et son mari, qui sont très âgés maintenant. Plus d’enfants dans la cour. (J’ai regardé partout : je n’étais plus là). Bon. Retour à Paris.

Pas de meilleur endroit pour glandouiller que mon quartier, finalement. Joueurs de dominos près de Paris-Gel. Beaucoup de Sdf privés d’abris jusqu’à septembre au moins, hébétés de fatigue et de solitude : un été. Parfois, près du banc des clochards, un cow-boy cambodgien tout à fait édenté danse le tango avec sa canette de bière. Les pépés double-six lèvent les yeux vers le ciel, ça ne les intéresse pas, le tango. Le bonze hilare au milieu des vendeurs de cassettes piratées. Les robes à fleurs, les lunettes de soleil. Les feuilles déjà brunies au pied des arbres, les gens qui ont déménagé en face, les cartons vides sur les trottoirs. Les courses de rentrée au Géant Massena. La joie de vous retrouver. Bonne rentrée !

Dominique Fabre

Tournée d’été
Le Matricule des Anges n°126 , septembre 2011.
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