Même s’il arrivait que l’amour n’ait pas d’histoire, le roman d’amour en aurait une », écrit Pierre Lepape dans une justification liminaire. Contre les tenants du c’est toujours pareil, il s’agit donc de rendre le cœur à son Histoire, c’est-à-dire à ses histoires, amûûr ou amourettes de tous temps, et qui sensiblement diffèrent – « Personne n’aime aujourd’hui comme Daphnis aimait Chloé ». Voilà donc la première Histoire des romans d’amour, où de petits chapitres rendent chronologiquement compte des courants et des œuvres, où se succèdent le moyennement lu (par exemple Le Roman du comte d’Anjou de Jean Maillart, 1316) et le très attendu (comme Manon Lescaut ou Belle du Seigneur), où les livres sont toujours liés au monde qui les a vu paraître, qu’ils soient chargés d’exprimer « ce que l’histoire chaque jour dément » ou qu’ils en portent les utopies : narrations galantes qui glorifient une aristocratie mise au pas absolutiste, amant de Lady Chatterley où l’on confond sexe et révolution… Lepape demeure le champion du manuel intelligent, à l’aise dans les panoramas comme dans les coups de sonde, ainsi lorsqu’il rend l’âme d’une longue phrase fiévreuse de Nabokov, ou qu’il fait un sort à tel petit verbe chez Flaubert : « Avant qu’elle se mariât, elle avait cru avoir de l’amour », c’est donc qu’Emma n’est pas trompée comme on le croit trop souvent par son imagination, mais par l’économie érotique bourgeoise, et par le mirage de la consommation. Tout cela exprimé fort élégamment, jusqu’à la Passion simple d’Annie Ernaux, qui referme le livre sur un dernier « savoir inédit, à défaut de modèle pour mieux aimer ».
Gilles Magniont
Une histoire des romans d’amour
Pierre Lepape
Seuil, 416 pages, 22 €
Domaine français Chairs fraîches
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Gilles Magniont
Un livre
Chairs fraîches
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°127
, octobre 2011.