Un livre

Le Ravissement de Britney Spears

de Jean Rolin

Editions POL

Avouons d’emblée notre déception : si l’on avait pu espérer, à la lecture du titre, trouver dans ce nouvel opus de Jean Rolin – dont on connaît la malice polymorphe – une sorte de remake du mythique Ravissement de Lol V. Stein de Duras, avec, par exemple, une version contemporaine de la scène du bal de T. Beach transportée dans un palace de Hollywood, il n’en est rien ! Le « ravissement » dont il s’agit ici n’a qu’un sens, dirons-nous, policier : une menace d’enlèvement plane sur Britney Spears. En revanche, le lecteur pourra se réjouir de trouver ici une mine d’informations qui lui permettra d’en remontrer aux plus fanatiques lecteurs de Closer ou autres Oops… Nous suivons en effet, pas à pas – puisqu’il ne possède même pas son permis de conduire – un agent français chargé – on ne saura guère pourquoi cette tâche lui incombe à lui précisément – de veiller sur cette star mondiale que des islamistes pourraient vouloir subtiliser à l’admiration de ses centaines de milliers de fans. Mais on apprend d’emblée qu’il a dû faillir à sa mission puisque, pour le sanctionner, on lui en a confié une autre : le voici à Murghab, dans le Haut-Badakhchan, surveillant la frontière entre le Tadjikistan et la Chine. C’est à son camarade Shotemur, qui a sans doute « commis plus de crimes de guerre que la plupart d’entre nous », qu’il raconte, photographies glanées sur Internet à l’appui, ce que fut pour lui cette expérience, à la fois passionnante et frustrante.
Sans doute Jean Rolin a-t-il, comme son assez pitoyable héros, consulté sur Google quelques-unes des « 81 millions d’entrées relatives à Britney Spears », sans doute a-t-il parcouru à pied les longs boulevards de Los Angeles, sans doute a-t-il tenté de pénétrer dans tous ces lieux réservés aux happy few, surveillés par les meutes de paparazzi, sans doute a-t-il emprunté, lui aussi, du nord au sud et de l’est à l’ouest, des collines jusqu’à l’océan les bus – dont nous apprenons ici jusqu’aux moindres détails des parcours et des horaires ! L’imaginer menant sa propre enquête, comme un double de son personnage, n’est pas sans éveiller notre sympathie amusée. Et on oublie la modestie du sujet traité – pour ne pas dire sa pauvreté ou son inconsistance – en savourant cette espèce de naturalisme documentaire relevé de romanesque parodique et d’humour sarcastique. Les travers et excès de cette Amérique-là offrent des tableaux burlesques, que la phrase de Rolin, toujours tenue, peint avec précision. On peut ainsi découvrir le motel The End « qui se prévalait d’avoir abrité autrefois Jim Morrison » mais où ne traînent plus aujourd’hui que des travestis, flottant « entre deux mondes, l’asilaire et le carcéral », ou encore « la boutique Millions of Milkshakes située sur Santa Monica presque en face du Santa Palm Car Wash » où quelques vedettes viennent s’offrir leur glace préférée « tant il est vrai que la crème glacée est décidément l’une des espèces sous lesquelles les stars communient le plus volontiers avec leur public ». Dans l’attente, longtemps déçue, de rencontrer Britney Spears, notre héros croisera (et nous avec lui) d’autres gloires – et nous apprendrons ainsi que Lady Gaga osa, pour un clip, avaler un rosaire, que Lindsay Lohan doit supporter la malhonnêteté d’un père qui la harcèle ou que les adolescentes membres du Bling Ring avaient pour spécialité de dérober des objets intimes dans les maisons de leurs idoles.
Sans trop dévoiler les multiples rebondissements de ce rocambolesque roman noir (usons nous aussi de l’antiphrase), rendons enfin hommage à la figure de Fuck, « chef suprême de tous les paparazzi de Los Angeles », qui meurt d’une mort d’autant plus mystérieuse qu’on trouve à côté de son corps la Critique du programme de Gotha de Marx, « un texte mineur, et qui n’est plus vraiment d’actualité ».

Thierry Cecille

Le Ravissement de Britney Spears
de Jean Rolin
P.O.L, 285 pages, 17 €