Annie Saumont, donneuse de nouvelles
Annie Saumont ressemble aux phrases de ses nouvelles. Celles-ci, le plus souvent, sont émaciées, jetées sur la page comme un coup de griffe, un trait. Elles jouent d’une densité qui vise l’efficacité pour faire pénétrer le lecteur, immédiatement, dans la conscience d’un personnage, une atmosphère, une voix. Mais, à la différence de ses phrases qui se font volontiers dures, voire agressives, la nouvelliste accueille son visiteur avec une gentillesse et une délicatesse de grande dame. On l’a couronnée « reine de la nouvelle », ce qui la fait sourire et briller la malice dont ses yeux semblent pleins : « vous savez, ce ne sont que des formules de journalistes ». À 84 ans, elle ne fera pas mine d’y croire. On devine qu’il en aura été de même toute sa vie. Une vie consacrée à écrire, sans cesse, ces textes courts qui désespéraient les éditeurs car ils n’étaient pas des romans.
Venue il y a peu, pour se rapprocher de sa fille, dans la banlieue sud de Paris, après avoir quitté son Marais (« mais pas le Marais chic, l’autre, celui du 3e » souffle-t-elle), la nouvelliste nous accueille sur le pas de sa porte, canne à la main, fragile et souriante. Elle propose un café, un chocolat chaud. Toujours au seuil du silence, elle attend qu’on lui pose les questions dont on craint, rapidement, que le flot ne finisse par la submerger.
Annie Saumont est née à Cherbourg en 1927 dans une famille de six enfants. Elle est la troisième, grandira avec deux frères et trois sœurs. « Tous étaient des scientifiques. Il n’y a que moi qui ai tourné littéraire » hausse-t-elle les épaules.
Le père travaille aux chemins de fer et une affectation en Normandie vers 1932 fera déménager toute la famille pour Elbeuf, aux portes de Rouen. La mère est institutrice et cela, on s’en doute, aura son importance.
« Je ne veux plus entendre parler de mes romans ».
Des souvenirs qu’elle fouille, Annie Saumont retire l’image d’une bibliothèque vitrée où se tenaient peu de livres « mais on empruntait des ouvrages à la bibliothèque d’Elbeuf, en revenant du lycée. »
Très tôt elle sait écrire : « Ma mère m’avait emmenée quand j’avais 5 ans au cours préparatoire qu’elle assurait. Donc à 6 ans, je savais écrire. Et j’aimais ça. » Comme ses frères et sœurs : « Je me souviens que ma mère nous appelait à table et que toujours on répondait : « mais je n’ai pas fini mon chapitre ! » Mais on ne parlait pas de littérature. On n’avait pas le droit de parler à table. » Les parents sont très croyants. L’a-t-elle été elle aussi ? Elle grimace : « oui, par oblligation ».
Bonne élève au collège et au lycée, elle avoue cependant son rejet des matières scientifiques et surtout des mathématiques qu’elle n’aimait pas. La Seconde Guerre mondiale est déclenchée l’année de ses 12 ans, « j’étais à l’école à Rouen à cette époque. Je me souviens du bombardement du 19 mai (en réalité : 19 avril 1944) j’avais15 ou 16 ans, on prenait part, on emmenait de la nourriture...