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Traduction Nathalie Bauer

janvier 2012 | Le Matricule des Anges n°129

Canal Mussolini d’Antonio Pennacchi

J’ai découvert Canal Mussolini au printemps 2010 alors qu’il s’apprêtait à déferler sur l’Italie où je vivais. Aussitôt j’ai été impressionnée : son auteur, Antonio Pennacchi, surnommé « l’écrivain-ouvrier » en raison de son passé en usine, avait l’audace d’élaborer une saga liée à une période noire de l’histoire italienne, la montée et le triomphe du fascisme dont les ondes obscures continuent d’influer sur un pays qui, contrairement à l’Allemagne, n’a pas exorcisé ses démons par un travail de réflexion collective. L’audace résidait non seulement dans le sujet, les aventures d’une famille de paysans dans la région de Ferrare puis dans les marais Pontins « bonifiés » par la dictature, mais aussi et surtout dans son traitement : à la fois par le ton – humour, insolence et liberté de propos, un zeste de réalisme magique – et par la technique, mélange savant de réalité et de fiction adoptant la structure circulaire du récit oral, où le conteur effectue mille digressions avant de retrouver comme par enchantement le fil de son récit. Ce roman ferait date dans la littérature italienne, j’en étais persuadée et je brûlais de le traduire ; grâce à l’amitié, l’opportunité m’en a été donnée.
Les qualités de Canal Mussolini m’avaient sauté aux yeux, mais une fois au travail je me suis aperçue que deux de ses aspects les plus remarquables constituaient autant d’écueils pour sa traduction. En premier lieu, l’entrelacement de la réalité et de la fiction. Dans le texte cohabitent, en effet, des personnages historiques, dont Mussolini (jeune leader socialiste, à sa première apparition), et des figures éminemment romanesques, telle Armida, l’épouse de Pericle, le « lion de la famille » – la famille de nos héros, les Peruzzi ; détestée par ses belles-sœurs qui la qualifient de sorcière, cette jeune femme communique avec les eucalyptus, les poissons et surtout ses abeilles, lesquelles la préviennent du danger, lui soufflent des conseils et, au moment crucial, mènent la famille sur la voie du salut. Un mélange détonant, mais encore fallait-il le rendre compréhensible car bon nombre de personnages historiques présents ici, d’événements de cette période et de termes qui s’y rapportent demeurent inconnus du public français. L’auteur, je le savais, avait effectué de longues et minutieuses recherches pour écrire ce livre qui est à ses yeux « la raison pour laquelle (il est) venu au monde », ajoutant même que ses huit « ouvrages précédents sont nés en fonction » de lui1. Devais-je mettre l’accent sur l’aspect historique et donc truffer le texte de notes, au risque de ralentir la lecture ? Ou privilégier le romanesque en laissant aux lecteurs le choix de s’informer, au risque de les abandonner sans repères dans les méandres d’une histoire peu familière ? Estimant que les figures historiques étaient présentées comme des héros de roman et les faits comme autant de rebondissements dans une intrigue, j’ai résolu2 de préciser le sens des notions requérant une compréhension immédiate par des incises ou par de rares notes, et d’établir à la fin de l’ouvrage, pour les lecteurs désireux d’approfondir le côté « réel » du livre, un glossaire des termes historiques, des noms propres et une chronologie.
Il fallait ensuite régler le problème de la langue, plus épineux. Le narrateur, un Peruzzi dont le prénom n’est révélé qu’à la dernière ligne en une énième pirouette, relate l’histoire de sa famille telle qu’elle a été transmise au fil des générations, et donc dans le dialecte dans lequel elle a été élaborée, celui de la région ferraraise : « Comment voulez-vous que je connaisse le dialecte et l’accent de Mussolini ? » lance-t-il. « Je vous rapporte exactement les phrases qu’il a prononcées (…), je vous les répète mot pour mot dans le dialecte dans lequel on me les a confiées. Je ne change rien. Ce qui compte, c’est la tradition, la langue de celui qui raconte (…)  ». Pour souligner le comique, il utilise également le langage de l’Agro pontin (dont les habitants paraissent si « méridionaux » à nos paysans transplantés qu’ils les traitent de « bougnoules ») et du Latium en général, ainsi que des particularités napolitaines dans la bouche de l’agronome qui deviendra la bête noire des Peruzzi.
La nécessité de différencier les trois parlers excluait l’argot et limitait à un seul d’entre eux la création de termes sur la base de jeux de mots, l’option que je préfère. En effet, il n’existe pas d’équivalent avec les patois français : les dialectes italiens sont parlés en ville comme à la campagne par toutes les couches et tous les âges de la population, ce qui en fait des langues vivantes. Pour les traduire, il faut s’attacher avant tout à rendre l’effet de surprise produit sur le lecteur italien. Ici il n’était pas question non plus d’adopter un parler « paysan » puisque les propriétaires terriens de la région s’expriment de la même façon que leurs fermiers. J’ai donc choisi de traduire le langage de l’aire ferraraise par des contractions, des élisions, des aphérèses et des apocopes, ainsi que par des mots inventés ou déformés (conter pour « raconter », maldit pour « maudit », beilles pour « abeilles », vrament pour « vraiment », l’est pour « il est », fistonne pour « fille », frottoir pour « balai », picu pour « pointu », etc.). Ainsi, Hitler s’adresse en ces termes à Mussolini après l’invasion de la Grèce : « Spèce de taré, tu crois qu’y a du pétrole ? Y a fout’ment rien en Grèce ! Y sont encore plus pauv’ que vous, vous n’y êtes allés que pour m’faire enrager, qu’le diable vous emporte ! » Et Mussolini de lui demander un peu plus tard : « Scuse-moi, Dolf, donne-moi un coup d’main. » J’ai « coloré » le parler du Latium en intercalant des interjections telles que « mouais ! », « ouais ! », « purée ! » ou « pétard ! ». Enfin, pour ce qui est du napolitain, j’ai ajouté çà et là des terminaisons fantaisistes. L’agronome défend de la sorte ses plants de tomates : « Je vous en donnerai, des saletés d’autrefois ! Les tomates d’aujourd’hui sont bien meilleures, elles sont moderneuses et elles sont fascisteuses ! »
Bien entendu, traduire un texte littéraire revient à l’interpréter ainsi qu’on interprète une partition ou un rôle, acte qui relève certes de la technique, mais aussi de la sensibilité (et donc du tâtonnement). C’est dans ce dernier domaine, un peu vague et mystérieux, que chaque traducteur peut apporter sa pierre, bien conscient de ne pas détenir la vérité.

1 Antonio Pennacchi étant âgé de 60 ans à la sortie de Canal Mussolini, on peut considérer qu’il a consacré à ce livre plusieurs décennies.
2 Je remercie à ce propos Liana Levi et Sandrine Thévenet pour leurs suggestions et leur confiance.

* Nathalie Bauer a traduit, entre autres, Marcello Fois, Giovanni Arpino, Mario Soldati. Canal Mussolini paraît ce mois-ci aux éditions Liana Levi

Nathalie Bauer
Le Matricule des Anges n°129 , janvier 2012.
LMDA papier n°129
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