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Histoire littéraire Un chant dans la tempête

janvier 2012 | Le Matricule des Anges n°129 | par Thierry Cecille

«  À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » s’interrogeait Hölderlin. Dmitri Bykov, suivant pas à pas Pasternak dans sa traversée d’un siècle douloureux, tente une réponse.

Parmi les quatre grands de la poésie russe du XXe siècle – Akhmatova, Tsvétaïéva, Mandelstam et Pasternak – ce dernier serait peut-être le moins mythique, celui dont le destin se prêterait le moins aux légendes – funèbres plutôt que dorées. Alors que le suicide de Tsvétaïéva et les tragiques épreuves de Mandelstam et d’Akhmatova les transformeraient en martyrs de la parole poétique, Pasternak aurait nagé plus paisiblement, même si parfois à contre-courant, dans ce fleuve tumultueux qui, de 1917 à sa mort en 1960 (il est né en 1890), lui aurait permis d’atteindre la rive glorieuse du prix Nobel, y déposant un Docteur Jivago rapidement hollywoodisé…
Les neuf cents pages de cette biographie de Dmitri Bykov ne sont pas de trop pour faire justice de cette sorte de distribution des rôles, et rendre à Pasternak sa véritable dimension, celle d’un créateur en perpétuelle évolution, d’un poète et d’un prosateur qui essaie, par-delà les aléas, bouleversants et démesurés, des événements politiques, d’accorder sa voix, ses mots et leur musique, à ce qui demeure pour lui fondamental : l’amour et la joie d’exister, la Russie avec sa terre et son peuple, la foi et l’espérance. Rendre justice ne veut pas dire se prendre pour un justicier : Bykov n’est pas de ceux qui réécrivent l’Histoire et se permettent de juger, a posteriori et en des temps plus calmes, les choix de ceux qui, eux, vécurent dans la tourmente. Il connaît parfaitement – son superbe roman, La Justification (Denoël, 2005), en témoigne également – jusqu’aux secrets les plus dissimulés du régime soviétique, et peut peser avec justesse les atermoiements et les compromis, les lâchetés et les trahisons, de même que les actes de résistance ou de bravoure. Ces centaines de pages allient donc l’évocation vivante des épisodes cruciaux de cette vie et le récit de périodes plus longues et apparemment moins décisives mais pendant lesquelles mûrit un être. Il nous offre également (et sans doute faut-il saluer le travail de la traductrice, qui a choisi de retraduire tous les textes de Pasternak ici cités) des analyses fouillées de l’écriture de Pasternak, allant jusqu’à nous expliquer en détail ses choix prosodiques ou sa préférence pour la métonymie plutôt que la métaphore.
Nous pouvons alors nous laisser guider par Bykov et, suivant le cours de cette existence, avoir l’impression – assez rare en fait – de comprendre un homme. Nous découvrons tout d’abord un adolescent choyé, au sein d’une famille de l’intelligentsia moscovite, « bruyante, chaleureuse, nerveuse  » : son père est un peintre célèbre, sa mère aurait pu être une pianiste de renom. Pasternak se rêve tout d’abord compositeur puis se tourne vers la philosophie – mais la poésie cogne à la porte : c’était pour lui, écrit Bykov, « le moyen de plus accessible, sinon le seul, pour doter d’harmonie son monde intérieur ». Si ses premiers poèmes associent une « pléthore verbale  » à certains excès du futurisme, c’est avec Ma sœur la vie qu’il s’affirme en 1918. La parution de ce recueil, et la joie de vivre qui s’y lit, sont en accord profond, intime, avec la Révolution – qui lui semble être un réveil, une aube. Il ne reviendra jamais sur cette certitude mais, en même temps, craint que la liberté ne soit mise en sommeil, que l’espoir ne fasse long feu – ce qui se produira rapidement. Ami de Maïakovski, il peut paraître un temps proche du LEF, « front gauche de l’art » que celui-ci fonde en 1922 – mais en vérité il garde ses distances, et s’en écartera dès 1927. De même, s’il s’essaie à des poèmes épiques à la gloire de certains épisodes révolutionnaires, c’est davantage pour trouver une voie poétique neuve que pour apporter sa voix au concert commun qu’exige la propagande. Les années staliniennes exigeront de lui une maîtrise de soi plus tragique encore : il lui faudra lutter contre le silence en évitant à la fois la flagornerie envers le chef suprême, le reniement – et le sacrifice, qui se serait avéré inutile. Afin que ce paysage humain soit le plus vaste possible, Bykov nous offre alors d’admirables chapitres intitulés « Regards croisés », des portraits de ceux qui, contemporains, vécurent eux aussi ce « temps de détresse  » : Maïakovski, Tsvétaïéva, Blok, Akhmatova… mais aussi Staline lui-même !
L’amour, également, joua sa partie dans cette vie proprement symphonique : des femmes viennent offrir au poète l’occasion de résurrections, à la fois existentielles et poétiques. Peu à peu, son langage poétique devient plus transparent, et il s’invente, avec Jivago, un double qui lui permet de mieux pénétrer qui il fut et ce que fut son époque. Ce fut bien là une « vie réussie  » – dont Bykov parvient à rendre la richesse, les infinies et infimes nuances – pour celui qui pourra écrire, face à la mort : « La vie elle-même n’est qu’un instant, / Elle est la dissolution / De nous-mêmes en tous les autres, / Comme un don qu’on leur fait. »

Thierry Cecille

Boris Pasternak
de Dmitri Bykov
Traduit du russe par Hélène Henry
Fayard, 913 pages, 35

Un chant dans la tempête Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°129 , janvier 2012.
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