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Intemporels Jeux d’argent

janvier 2012 | Le Matricule des Anges n°129 | par Didier Garcia

L’Américain Gaddis évoque les aventures boursières d’un gamin dans une société soumise à la seule loi de la finance. Ébouriffant.

Une fois n’est pas coutume : commençons par présenter quelques-unes des difficultés qui attendent le lecteur désireux de s’engager dans ce roman, dont les cent premières pages le dérouteront peut-être autant que celles du Finnegans Wake de Joyce (ce qui n’est pas peu dire). L’essentiel de l’intrigue repose ici sur un dialogue presque ininterrompu ou, pire encore, sur une suite de dialogues qui se succèdent sans véritables transitions. Nous savons rarement quel est le personnage qui s’exprime (à moins d’avoir photographié ses tics de langage, comme le « genre » qui émaille chaque phrase de JR), et quand il nous faut interrompre notre lecture, c’est souvent en plein milieu d’une conversation, puisque le volume ne présente ni chapitres ni blancs typographiques. Les retrouvailles avec le texte s’avérant à chaque fois difficiles, le mieux est donc de privilégier les séances de lecture plutôt longues : au moins une heure d’affilée, condition sine qua non pour se familiariser tant soit peu avec l’oralité du texte. Ajoutez à cela que les personnages ne cessent de se couper la parole, et que chacun peut être contrarié dans son élan logorrhéique par la sonnerie d’un téléphone (mais ces messieurs de la finance trouvent quand même à poursuivre leur discussion tout en répondant à un interlocuteur dont nous ignorons l’identité, ce qui contraint le lecteur à un zapping permanent). Quant aux rares séquences narratives, elles n’ont pour seule fonction que de faciliter le passage d’un dialogue à un autre, la transition s’effectuant souvent par l’intermédiaire d’une seule phrase qui s’apparente alors à un travelling en accéléré. Mais difficile de dire qu’elles nous facilitent la tâche : « comme il arrivait juste derrière elle, apparemment indifférente à la collision attardée de sa main libre dans son balancement au-dessus de la fente d’un apogée à l’autre effleurant sa taille au coude, où seul le tremblement de l’irrésolution dans sa prise la fit poursuivre jusqu’aux confins vides de la pièce pour murmurer »
Ce roman met en scène un gamin de 11 ans (JR), qui va tenter de se bâtir un empire financier par téléphone. Pourquoi une telle précocité chez ce garçon que rien ne distingue des autres ? Il faut dire à sa décharge que son collège l’a bien aidé à nourrir une ambition qui n’est pas de son âge, puisqu’un professeur s’est fixé comme objectif d’initier ses élèves à la spéculation boursière (la classe a même dû économiser pour pouvoir s’acheter une part d’Amérique). À Wall Street, chaque élève de sixième a donc pu se faire une idée très précise de ce que c’est que d’acheter une action avec l’aide d’un agent de change. Le problème est que JR n’entend pas s’en tenir à ce coup d’essai. Pour lui, il ne s’agit bien sûr que d’un jeu, mais à quoi bon jouer si ce n’est pour gagner, qui plus est pour gagner beaucoup, ce qui est d’ailleurs le seul credo auquel est arrimé tout le système capitaliste ? Et comme avec la bourse « même quand vous gagnez vous devez continuer à jouer », JR va passer l’essentiel de son temps à spéculer et consacrer toute sa vie à cet empire de papier. Il entraîne alors dans son délire un compositeur de musique classique, dont il va faire un faux courtier. Et peu importe si ce dernier n’y entend strictement rien : la spéculation financière fera le reste, dévastant tout sur son passage, le compositeur ne parvenant bientôt plus à composer quoi que ce soit, et devant se contenter de répondre à d’innombrables appels téléphoniques (manifestement, l’art fait faillite face à l’omnipotence de l’argent, et les références à Wagner n’y changeront rien). Dans cette cacophonie générale, il n’y a plus de place que pour les discours stéréotypés, les propos dénués de sens, et des déclarations juridiques qui ne disent quasiment rien puisque l’argent permet d’adoucir toutes les lois.
À la lecture de JR, on comprend mieux que William Gaddis (1922-1998) ait été un romancier laborieux, poussant la discrétion jusqu’à ne publier que cinq romans en cinquante ans, ce qui ne l’empêcha pas de rafler par deux fois le prestigieux National Book Award. Premier des deux primés (1976), JR est bien sûr une satire de l’Amérique ultra-libérale, mais une satire tellement bouffonne (pour ne pas dire ubuesque) qu’elle fait davantage rire qu’elle n’inquiète (on y rit d’ailleurs de bon cœur). Et c’est surtout un roman qui démontre, presque à chaque page, que « l’ordre est simplement un état fragile et périlleux que nous essayons d’imposer à la réalité du chaos ». En somme, si ce roman est complexe et dense (d’une densité qui peut autant séduire qu’agacer, mais qui étourdira la plupart des lecteurs, leur donnant sans doute envie d’y revenir), c’est uniquement parce que la réalité dans laquelle nous vivons est dense. D’une densité souvent monstrueuse, et Gaddis n’y peut rien. Son seul tort serait de l’avoir livrée telle qu’elle est. Pour le patrimoine littéraire, c’est plutôt un tour de force.

Didier Garcia

JR
de William Gaddis
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Cholodenko
Plon,1080 pages, 26

Jeux d’argent Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°129 , janvier 2012.
LMDA papier n°129
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