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Domaine étranger Dialogue de sourds

février 2013 | Le Matricule des Anges n°140 | par Didier Garcia

Dans ce douzième volume traduit, l’Espagnol Javier Tomeo fait communiquer deux éclopés sur le chemin de la vie. Pour fuir le silence.

Un 30 novembre, Macario quitte son domicile après avoir, comme à son habitude, passé une poignée d’heures sur Internet, et s’aventure seul sur la lande. Alors qu’il s’apprête à rentrer, il se fait une belle entorse à la cheville. Comble de malchance, son portable est déchargé : il ne peut donc prévenir personne. Aussi décide-t-il de s’asseoir à un abribus et d’attendre que quelqu’un passe. L’attente n’est pas bien longue. Rapidement, des pas se font entendre, bientôt suivis d’un cri : l’homme qui venait à sa rencontre s’est foulé la cheville lui aussi. Il se retrouve contraint de se réfugier sous un autre abribus situé à une vingtaine de mètres de Macario.
Nous voici donc avec deux hommes immobilisés sur un chemin solitaire, quelque part entre T et Q. Deux hommes qui en attendent un troisième, un peu comme Vladimir et Estragon attendent Godot chez Beckett (sans savoir s’il existe vraiment ni s’ils l’attendent au bon endroit). Autour d’eux, nous aurons surtout des bruits : un hibou qui hulule, deux avions traversant le ciel, des fusées qui célèbrent la pleine lune, des grillons s’échangeant des messages cryptés, et un corbeau qui croasse normalement, avant que d’intervertir les sons, passant alors de « croa » à « crao »…
Faute de mieux, et parce qu’il faut bien tuer le temps, les deux hommes se mettent à converser. À l’évidence, Macario est le plus bavard, mais il s’exprime à l’aide de phrases toutes faites qu’il a prélevées sur la toile puis consignées dans un drôle de carnet dont il ne se sépare jamais. Le plus souvent, ce sont de bons lieux communs, qui ne souffrent aucune objection, et n’attendent nulle repartie : « Les roses auraient le même parfum si elles s’appelaient citrouilles. » Tant et si bien que leur dialogue va vite tourner à vide.
Macario est un phénomène, pétri de savoir virtuel. Il prétend avoir téléchargé un million de livres et avoir noté quatorze définitions différentes de la patience, puisées dans quelque « grand recueil de proverbes turcs ». Son goût prononcé pour la compilation lui a fait apprendre des listes saugrenues, comme celle des 206 os du squelette humain, qu’il est capable de vous débiter séance tenante. Et quand il n’évolue pas sur le net, il se livre à l’observation des étoiles. Il lui arrive même de poétiser, ce qui l’autorise d’ailleurs à déclamer son Ode à l’éclair, où la poésie parle pure : « Ô éclair impitoyable, / Qui dans cette nuit amère… / Renversa l’aimable château de mes illusions… ! ».
Entre ces deux éclopés qui, pour leur bêtise, valent parfois Bouvard et Pécuchet, il n’y aura jamais le moindre soupçon d’empathie, bien qu’ils partagent le même sort. Pire encore, chacun se montrera cruel envers l’autre, la palme revenant à Macario, qui n‘hésite pas à expliquer à son compagnon d’infortune qu’au moment où il lui parle sa femme, profitant de son absence, se donne du bon temps avec un voisin.
Chacun l’aura compris : inutile de prendre tout cela exagérément au sérieux ou de chercher une intrigue. La Nuit du loup est un roman où il ne se passe strictement rien, mais où tout pourrait se produire (nous échappons quand même au pire, car sous l’action de la pleine lune, Macario était à deux doigts de se métamorphoser en lycanthrope). La richesse du roman n’est pas non plus à chercher du côté du style : la phrase de Javier Tomeo (né en 1931) est sans prétention. La réussite du volume tient surtout à la situation, aussi insolite que délirante, dans laquelle se retrouvent les deux hommes, et à leur échange, souvent absurde, qui se tient invariablement à la surface des choses. Deux ingrédients qui font rire (ce n’est pas rien) et qui placent ce roman quelque part entre Beckett, Kafka, et le Ionesco de La Cantatrice chauve. Autrement dit, en très bonne compagnie.

Didier Garcia

La Nuit du loup
de Janvier Toméo
Traduit de l’espagnol par Denise Laroutis
Christian Bourgois, 152 pages, 15

Dialogue de sourds Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°140 , février 2013.
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