Pasolini, clair-obscur
- Présentation Une révolution mélancolique une révolution mélancolique
- Autre papier Un homme dans la ville
- Autre papier Arrêts sur images
- Entretien Mécanique du désir
- Autre papier « Nous sommes tous en danger »
- Autre papier Belle mort
- Autre papier Pour Pasolini pirate
- Autre papier Milano centrale
- Autre papier Constat de Pasolini sur les périls du temps
- Autre papier L’Italie en procès
- Bibliographie Bibliographie sélective
Aller au-delà du personnage, du saint, de la mise en scène. Dépasser la tentation hagiographique ou victimaire. Tenter de penser Pasolini comme un problème, vivant. Avec Philippe Di Meo, traducteur de La Nouvelle Jeunesse (mais aussi de Manganelli, Zanzotto ou Gadda), voyage aux confins de l’enfer et du paradis pasoliniens, au cœur des contradictions d’une œuvre et d’un homme tout à la fois obscurs et lumineux qui, plus que d’entrelacer son drame personnel au drame historique, tenta de conférer au premier la valeur universelle du second.
Vous avez traduit La Nouvelle Jeunesse, un recueil écrit en 1975 où Pasolini reprend, selon un effet de miroir déformant, un autre recueil, écrit, lui, en 1953, et intitulé La Meilleure Jeunesse. Ce texte à la fausse symétrie est peut-être la meilleure façon d’entrer dans l’œuvre poétique de Pasolini…
On voit souvent Pasolini d’abord comme un intellectuel engagé ou un cinéaste. Sa médiatisation, par la simplification outrancière et commode qu’elle implique, en a fait un « personnage », et même une sorte de stéréotype. Chez les intellectuels eux-mêmes, cette approche fait la plupart du temps l’impasse sur l’œuvre littéraire, pourtant prodigieusement riche. Parce que ce texte conjugue le début et la fin d’un homme et d’une œuvre, inséparables l’un de l’autre, La Nouvelle Jeunesse donne un raccourci saisissant du parcours humain, poétique et littéraire de Pasolini. C’est en outre un livre unique dans les annales de l’histoire littéraire, puisqu’il consiste en la réécriture minutieuse, en 1975, de La Meilleure Jeunesse, paru en 1953. Tout ce qui y était paré d’un signe positif se voit attribuer un signe négatif dans la seconde version ; à la louange idéalisante et enjouée des débuts succède l’amer désenchantement de la fin : « sur tes lèvres de rose et de miel » devient ainsi « sur tes lèvres de fiel et de merde ». Mais la rédaction la plus récente ne se substitue pas pour autant à la plus ancienne : seule l’optique a changé. Il ne s’agit donc pas du remaniement classique d’un texte, ni même de sa correction, mais bel et bien de la juxtaposition de deux textes qui s’excluent l’un l’autre, tout en se complétant, d’une certaine façon : dans cette disposition des textes, il y a à la fois sacralisation du premier état, par sa réfutation blasphématoire, et caviardage destructeur de l’abandon lyrique initial. La Nouvelle Jeunesse est donc le démenti de La Meilleure Jeunesse, d’un temps irrémédiablement enfui. Deux vérités, deux temporalités se côtoient, mais entre ces deux moments, le poète se révèle incapable de choisir : c’est tout son drame, de sorte que le point de vue pertinent est précisément suggéré par la structure bifide du volume. La vérité n’est décelable dans aucun de ses volets, mais se donne pour interstitielle et renvoie à un troisième livre, potentiel, non écrit – sinon in absentia –, sécrété par l’apposition de ces deux états d’un même texte. La somme des deux versions campe une...