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Les mains dans la lutte J****

février 2014 | Le Matricule des Anges n°150

Demandez-lui à propos du caméléon. Une façon d’être toujours à sa place dans le moment présent. Les lieux, les anecdotes, les circonstances sont un décor. Le caméléon s’adapte, fondu dans le paysage, mais la couleur qu’il prend ne l’empêche pas d’être lui-même à l’intérieur.
Il dit : « Ça me donne des frissons quand je suis dans un groupe et que je ne discerne pas la différence, que j’entends tout le monde dire, penser la même chose. »
Il dit : « Chaque être est super important. C’est assez simple quand on sait ça. Que ce soit quand j’étais sergent ou les vendeurs que j’ai formés, chaque fois, c’est une société. T’as plein d’éléments, peints en vert ou habillés en costume, et avec ça tu fais plein de trucs. Je leur explique comment on peut s’amuser. C’est pour ça que c’est facile de les diriger. »
Demandez-lui une bière, au comptoir où il officie. Un bar associatif sur une place de marché. Un espace populaire pour familles, vieux garçons, retraités, voisins, ivrognes. Un de ces lieux, murs décrépis, vitrine taguée, affiches des concerts du quartier, qui tient tête à l’usure du monde, qui persiste à brailler, à taper dans les mains, à causer et à boire, quand au fil du temps chacun est allé se terrer, si terriblement seul dans la sclérose et l’assèchement collectifs.
Demandez-lui de vous resservir. Il n’est pas là pour brider les alcools.
Demandez-lui des histoires. Il ne parlera pas de son roman personnel, de sa vie organisée en chapitres biographiques successifs. Il ouvrira un livre de mythes, de voyages, de rencontres. Les tribus inventaient des sages de proximité. Pas des gens qui vous expliquaient quoi faire ou ce qu’il faut penser, mais des vieux singes qui riaient en écoutant vos problèmes, vos tortueux états mentaux, qui tiraient un fil au milieu de vos bredouillis et disaient : Suis simplement ça.
Il dit : « Je pense que la souffrance est quelque chose de magnifique. C’est fou ce que ça met les choses à plat chez les êtres humains. Là, l’humain, tu le vois tout de suite. T’as des mecs qui débarquent, des tarteurs fous, ils ont tellement l’impression de servir à rien et ils ont tellement envie d’exister dans les paroles de quelqu’un. T’en prends un, tu le cales sur un truc et tu discutes. Tu poses une question. Quand tu poses une question : t’as une réponse, et ça y est, elle est finie la bagarre. »
Il dit : « Le mec bourré, il casse les couilles à tout le monde. Moi aussi il me gonfle. Mais moi j’irai chercher quand il était môme, et je te le remonterai ce qu’il est au fond. On nous dit qu’on est des machines super complexes, mais le fonctionnement humain, c’est super simple. Soyez un peu attentifs à vous-mêmes. »
Bien après l’heure de clôture, il coupe une fois encore la parole à un multitâche des chantiers au black, ivre mort, les dents pétées, l’âme aussi fumée par la détresse que les muscles nerveux. Il lui saisit son téléphone portable, avec la photographie de l’épouse abandonnée dans la cuisine.
Il dit : « Tu n’as pas le droit, tu m’entends ! Pas le droit ! Avec une femme comme ça qui t’attend à la maison ! Une femme aussi belle, tu as le devoir de la respecter ! »
Les paroles claquent dans l’ivresse massive qui rend taureau et permet la furie. Elles bloquent la mécanique à tambouiller les êtres, à barboter dans ses échecs. L’ivresse patine, l’ouvrier balle sur ses jambes molles, soudain libre et nu.
Il dit : « Par définition nous sommes seuls, et d’une solitude… rectiligne, dès la naissance jusqu’à la fin. Dans ces moments-là, ils ne demandent qu’une seule chose : c’est que ça s’arrête. C’est lui qui me l’apporte, sa photo. C’est lui qui veut entendre quelque chose de tranquille. »
Le fil. Ramené avec autorité. Ton sentier dans le brouillard du monde. Qui tu es sous ce qui fait mal.
Il dit : « C’est un univers qui me plaît. Finalement, ce qui me botte, c’est qu’il y a plein d’êtres humains. Des mecs qui sont des enculés, mais on a passé des super moments ensemble… rien que pour ça je les aime beaucoup. Je suis plus dans le don, mais j’aime bien aspirer des cerveaux. Tout le monde t’apprend plein de trucs. Je me retrouve sur un énorme terrain de jeu, en fait. J’ai pas mal bourlingué, et toujours… c’est Broadway… »
Il dit : « Par rapport à l’oseille, ça me fait chier. Ils taxent sans arrêt. Bon. Que je leur file deux trois balles à eux ou à un mec dans le métro parce que sa tête me plaît. Mais ça me fait chier. Je suis pas ta tirelire. En même temps, c’est la démerde. J’ai du respect pour ça. »
Il a l’œil et le cœur marin, aux aguets devant la flottille humaine.

Charles Robinson

J****
Le Matricule des Anges n°150 , février 2014.
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