Brice Matthieussent en toute liberté
C’est encore une œuvre naissante. Deux romans publiés sous son seul nom pour deux cents autres qu’il a accompagnés dans leurs mues de l’anglais ou l’américain vers le français. Du coup, Brice Matthieussent théorise moins qu’il n’expérimente. Et ce désir, toujours vif, de sortir des sentiers battus, de prendre des diagonales inattendues, de changer le cap de la narration dévoile une forme jubilatoire d’appétit pour une liberté d’écriture issue, peut-être, d’une jeunesse éternelle.
Dans l’arborescence des récits qui composent Good Vibrations autant que dans la variété des genres contenus dans Vengeance du traducteur, on reconnaît quelque chose de cette joie à dire la complexité du monde qu’on trouve chez les auteurs issus de la famille Inculte. Pour autant, c’est plutôt l’œuvre de l’Américain Thomas Pynchon que notre hôte cite comme voie inspiratrice. Une voie qui conduit à écrire des romans mondes, baroques et libres.
Brice Matthieussent, vous avez traduit plus de deux cents livres de quelques-uns des meilleurs écrivains anglo-saxons contemporains. Si vous deviez n’avoir traduit que trois de ces livres, lesquels choisissez-vous et pourquoi ?
Ah, c’est difficile, j’ai eu la chance de ne traduire quasiment que des livres que j’aimais… et je les aime toujours ! Mais quand même, il y a des livres qui me sont particulièrement chers : Mason & Dixon, de Thomas Pynchon, par exemple, parce que le baroque y est la règle, la digression systématique, et parce que j’avais toujours rêvé de traduire Pynchon. Ensuite, je choisirais Dalva, de Jim Harrison, à cause de l’émotion dégagée par le livre et de la beauté de cette héroïne qui ne ressemble à personne d’autre. Et puis, Visions de Cody, de Jack Kerouac, qui est un livre ardu, « expérimental », mais une déclaration d’amour à l’Amérique des années quarante, ses bouis-bouis, ses dîners, ses lieux banals, métamorphosés en lieux tragiques ou en épiphanies par Kerouac. J’ai aussi un faible pour Arbre de fumée, de Denis Johnson, cette ambition romanesque démesurée de l’auteur obsédé par le mal et la rédemption impossible. J’ajouterai que tous les autres aussi me plaisent beaucoup !
Il y a une disparité de style entre, par exemple Harrison, Thoreau et Pynchon. Pour se glisser dans la langue de l’autre, il ne suffit pas de se glisser dans sa langue maternelle ; il faut aussi « saisir » le singulier de chacun. Est-ce qu’à l’image de Daria, l’héroïne de votre nouveau roman, vous entrez en empathie avec les textes des auteurs à traduire ?
Je n’ai jamais connu Daria, un des personnages principaux de Good Vibrations. J’adore chez elle son empathie avec les gens qu’elle côtoie, les œuvres d’art qu’elle regarde, sa capacité à se mettre à la place de l’autre. Traduire, c’est aussi cela : se mettre à la place de l’autre ; mais cet autre n’est pas un personnage créé par un autre, ni cet auteur, c’est le texte, tout le texte et rien que le texte. Je crois en effet qu’il faut...