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Domaine étranger Traits pour traits

février 2014 | Le Matricule des Anges n°150 | par Sophie Deltin

Alliant gravité et drôlerie, le premier roman de l’Allemande Astrid Rosenfeld propose une manière singulière d’appréhender la Shoah.

La « ressemblance de famille », le détail, le trait physique qui inscrit l’individu dans une famille, une lignée, une mémoire, un passé : tel est le motif qui sert de point de départ au roman d’Astrid Rosenfeld tout entier taraudé par l’énigme de la transmission. Depuis sa plus tendre enfance, Edward Cohen qui est né dans les années 80 à Berlin, a toujours entendu – « comme un refrain » – qu’il ressemblait à son grand-oncle Adam, le frère de son grand-père Moses. Les yeux, la bouche, le nez, et puis un jour, la voix d’Adam. « Edward, prions le seul Dieu, demandons-lui que tu aies hérité seulement du physique d’Adam et non de son caractère » lâche un jour le pieux Moses, comme si les traits physiques étaient porteurs d’une écriture secrète, d’un lien et d’une vérité autrement plus profonds. Comme si ressembler, c’était porter des traces, des empreintes d’autre chose – mais de quoi ? Moses, que la simple vue de son petit-fils bouleverse, finit donc par se retirer complètement au grenier où il ressasse ses souvenirs et laisse parfois échapper des cris.
Ce que recèlent cette douleur et ce silence obstiné, Edward n’en saura pas grand-chose, sinon que le grand-oncle Adam qui avait 18 ans en 1938, fut « un méchant homme », un traître : un beau jour, au comble du péril nazi, il s’est volatilisé en emportant avec lui toute la fortune destinée à faire émigrer les autres membres de la famille en Angleterre. Edward n’a donc jamais connu Adam, encore moins ceux qui n’ont pu survivre à l’extermination.
Une autre légende familiale berce la vie d’Edward : celle de son père scandinave qu’il n’a jamais connu et qui lui dit-on, est mort. Cette absence ne l’empêche pourtant pas de mener une enfance heureuse. Une vie – la première partie du roman – qu’il décrit à Amy, l’amante perdue à qui il dédie son récit pour « sauver de la disparition » l’amour qu’il lui voue. Ainsi lui raconte-t-il dans des pages savoureuses et touchantes qui ressuscitent le petit garçon espiègle d’alors, l’existence vagabonde et fantasque qu’il mena aux côtés de sa mère Magda et du compagnon de celle-ci, l’Américain Jack Moss, sosie d’Elvis, lequel prit en charge son éducation et lui transmit le goût des cigarettes, des éléphants et « du conte » (entendez : de l’affabulation).
À travers cette rencontre improbable et décisive – mais « n’est-ce pas nous qui cherchons les gens que nous rencontrons ? » – Astrid Rosenfeld ironise volontiers contre la grammaire de la généalogie, en nous rappelant que les ressemblances peuvent s’élaborer selon une autre voie que celle des strictes lois de l’hérédité et de l’atavisme familial – juif en l’occurrence. Pour autant, après ces années d’errance et surtout, la mort brutale de ce père adoptif, Edward éprouve le besoin de retourner vers le lieu de son enfance, et c’est là dans le grenier de la maison de sa grand-mère qui vient de mourir, qu’il trouve un manuscrit – « son héritage », l’assise de son identité. C’est en fait l’histoire d’Adam – qui forme le deuxième et plus gros chapitre du livre – que son grand-oncle avait dédiée à celle qui fut son amour fou et qui devait définitivement changer le cours de sa vie : Anna, disparue un jour de novembre 1938. Edward devient alors le porte-voix d’Adam et dans cette mise en abyme des récits autant que des corps – « Ce fut comme si j’entendais ma propre voix, comme si c’était ma voix qui racontait son histoire à lui. » – le thème de la ressemblance comme chiffre d’une parenté plus invisible et latente, libère sa véritable dimension.
Au fil de ces pages qui jouent à multiplier par-delà les générations les échos entre les détails, les scènes et les tempéraments des protagonistes, c’est surtout la vérité sur Adam qui se laisse rétablir, celle d’un homme passionné et resté libre en dépit des persécutions nazies, qui n’hésita pas à risquer sa vie en plongeant jusque dans l’enfer du ghetto de Varsovie. Dans cette partie grave et sombre du roman, le tour de force de la jeune auteure née en 1977 est de réussir à maintenir une manière de légèreté, d’humour et de dérision, qui n’en souligne que plus efficacement l’absurde et la cruauté de ce qui fut bel et bien « l’œuvre d’êtres humains ».
À travers le regard empli de tendresse parfois burlesque qu’elle porte sur ses personnages – que l’on songe au petit garçon prénommé Herakles et à ses fous rires effrontés dans le ghetto de Varsovie ou à l’excentrique et farouche Edda Klingmann, la grand-mère d’Adam, et à son mystérieux don qui la rend capable de lire l’avenir dans les traits des visages des grands dignitaires nazis – Astrid Rosenfeld donne à entendre de façon convaincante une voix singulière qui détonne avec le langage officiellement « convenu » pour traiter de la Shoah. Dans le court et ultime chapitre du roman, tel un maillon nécessaire qu’ajoute Edward dans la chaîne de transmission familiale, il lui revient d’honorer la dernière volonté de son grand-oncle. Et de transformer le trait – la trace – sur le corps en trait d’écriture.


Sophie Deltin

Le Legs d’Adam
Astrid Rosenfeld
Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary
Gallimard, 370 pages, 21,50

Traits pour traits Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°150 , février 2014.
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