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Égarés, oubliés Talentueuses fins d’empires

février 2014 | Le Matricule des Anges n°150 | par Éric Dussert

Dessinateur par don, architecte de jardin par amitié, voyageur par romantisme, Ferdinand Bac fut un dilettante abouti.

Livre Journal 1920

C’est à 14h30 que s’ouvrait le 3 octobre 2006 la vente aux enchères des archives de Ferdinand Bac, dans la salle 9 de l’Hôtel Drouot. Là, catalogué en 174 lots, apparaissait pour la première fois un ensemble somptueux de dessins originaux et de manuscrits restés inédits, l’œuvre d’un homme singulier, charmant à bien des égards, une perle fournie par le Temps qui nous offrait de la découvrir.
Par délicatesse, Ferdinand Bac avait donné dans son testament signé le 15 août 1947, cinq ans avant sa mort, une consigne qui ne souffrait aucune discussion : il réclamait à ses proches une quarantaine de secret pour ses œuvres et ses archives. Formellement quarante années durant lesquelles il s’agirait de protéger ces documents sans les laisser voir ou étudier. Décédé le 18 novembre 1952 à Compiègne, il reportait à 1992 l’opportunité de se faire une idée de son « Livre Journal » et à ses nombreux écrits dont il avait l’humilité de ne pas chercher à l’imposer de force. Comme les grands dilettantes du XIXe siècle, il avait écrit un jour : « je ne me réclame d’aucune Profession. J’abandonne mon œuvre au Jugement des générations à venir ».
Original et délicat, bourré de talents les plus divers – on connaît de lui des projets d’aménagements magnifiques, il est écrivain, dessinateur, caricaturiste, peintre, paysagiste, décorateur, ferronnier à l’occasion – et d’un esprit subtil, il avait tracé le 1er avril 1950 le dessin en couleurs d’un moine rejoignant la grotte de son ermitage. Comme souvent, il commentait en cartouche : « Devant l’Insécurité grandissante des rapports humains rentrons dans notre Cellule ! Ses murs ne nous font pas dire ce que nous n’avons jamais dit et ne racontent pas ce que nous n’avons fait. Dans son ensemble l’Humain est plus borné que méchant car il en est encore à ignorer la déplorable affaire commerciale qui est sa malfaisance. » Bac signait et ajoutait un post-scriptum : « Prière de ne pas faire de faciles sarcasmes sur la rusticité symbolique de cette Retraite. » À l’instar de fausses publicités dessinées d’Erik Satie, il eût été dommage de perdre ces perles d’esprit et de bonne humeur, trace d’une philosophie tout à la fois bienveillante et mondaine, fruit d’un temps révolu dont il porte désormais avec son prénom d’empereur le manteau d’ombre et le souvenir des splendeurs enfuies.
Bohême et presque Bonaparte, Ferdinand Bac était le petit-fils naturel du roi Jérôme Bonaparte, alors roi de Westphalie. Né à Stuttgart le 15 août 1859, il avait été élevé parmi les courtisans du Second Empire et quitta l’Allemagne pour s’installer à Paris où l’appelait une existence de salonnard qui lui siérait admirablement au point de devenir un véritable pilier des salons parisiens de la Belle Époque. Artiste à la mode lancé par son parrain, l’écrivain Arsène Houssaye et par le prince Napoléon, il donne d’innombrables dessins, échange des correspondances nombreuses avec des célébrités, publie près d’une quarantaine de livres, parcourt l’Europe en tout sens en voyageur romantique, rencontre des papes et Richard Wagner, des présidents et John Ruskin, des rois et Gambetta, Victor Hugo et l’abbé Mignier, mais aussi Paul Verlaine, Maurice Barrès et Guy de Maupassant, des comédiens, des danseuses, Verdi et Gounod… Et il se lie d’amitié à Robert de Montesquiou, la Comtesse Greffuhle, les Rohan, la comtesse de Pourtalès, Anna de Noailles. En somme tout l’Almanach de Gotha.
Parallèlement, Ferdinand Bac s’impose comme l’un des meilleurs dessinateurs de son temps. Il est ami avec Albert Robida dont il partage la célébrité, il caricature avec le même brio que Forain, Sem ou Caran d’Ache et l’on dit que certaines de ces caricatures sont aussi rudes que celles de Daumier. La « petite femme » de Bac, l’élégante de la belle vie parisienne est sa spécialité. Des séries d’albums superbes paraissent qui célèbre la comédie humaine vue par le truchement des femmes, leurs triomphes et leurs pièges, leur intimité et leurs amants… En digne descendant d’un Watteau ou d’un Fragonard, il marque son temps de ces silhouettes enjouées et romantiques à la fois.
Ce romantisme n’est pas une surprise : il est fasciné – hanté ? – par l’Histoire, et ses nombreux voyages en Allemagne, en Autriche et en Italie – Venise ! –, ses livres font de lui une sorte de mémorialiste de la « Vieille Europe », un témoin du passage du temps, comme ces chroniqueurs viennois de la Mittleuropa dont la parole ramène à la surface une civilisation éteinte. Lui s’installe durant trente-cinq auprès de ses amis Ladan-Bockairy à Compiègne et à Menton, dans le domaine des Colombières où il leur compose sur la pierre rouge l’un des plus beaux jardins de la Côté d’Azur et leur érige un tombeau. Madame Ladan-Bockairy, Caroline Octavie, est la confidente et la muse qui le soutient dans son œuvre en dactylographiant sous sa dictée tous ses manuscrits. Et c’est elle qui veilla après sa mort à préserver le secret qu’il avait demandé.
Jusqu’à présent, elle seule avait eu connaissance de tels paragraphes de son Livre journal : « Jeudi 19 Février 1920. Saint-Jean-sur-Mer. Tempête. Madame de Brimont me fait porter dans mon lit des vers qu’elle a fait sur moi et pour moi ! Ceci en réponse à un dessin dans lequel je crois bien lui avoir reproché de m’avoir comparé à M. Cryptogame, le chasseur de papillons [de Rodolphe Töpffer], je n’avais pas goûté cette plaisanterie. Un célibataire solitaire, que veut-on donc qu’il fasse ? qu’il reste chez lui à pleurer sa jeunesse et à faire son examen de conscience ? Enfin tout s’est arrangé. À présent elle me compare à Saint François d’Assise, à Joubert, à Watteau, et j’aime infiniment mieux cela, encore que cela m’engage à beaucoup de génie. » Loué par ses contemporains et par les amateurs de dessins, le délicieux Ferdinand Bac mérite d’avoir aujourd’hui des lecteurs.

Éric Dussert

Livre Journal 1920
Ferdinand Bac
Claire Paulhan, 592 pages, 51

Talentueuses fins d’empires Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°150 , février 2014.
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