Victor Hugo n’est qu’un has been. Il foudroie Caïn, son désir de meurtre, son passage à l’acte, sa fuite, sa peur, en lui balançant une sentence terrifiante : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » Autre temps, autre réalité… autre pensée. David Vann, lui, débarrassé de toute morale bon teint (ou religieuse), va au-delà. Ses tueurs – qu’ils soient personnage de fiction ou personne ayant véritablement existé – n’éprouvent rien. Comme s’ils agissaient par instinct, comme s’ils avaient retrouvé cette part animale – primitive, pure, innocente ? – qui sommeille en chacun. Dans ses deux livres aujourd’hui publiés, un roman Goat Mountain et un récit Dernier jour sur terre : nulle émotion, nul remords, nulle culpabilité. Tuer, et alors ? La belle affaire ! Il suffit d’être calme, de prendre son temps, de respirer, de coller l’œil au viseur, et de presser la détente. Un jeu d’enfant.
Tout comme dans ses précédents livres dont le terrible Sukkwan Island (prix Médicis étranger, Gallmeister, 2010), la violence, insoutenable, surgit de page en page. Elle ne procède pas de la mise en scène des tueries – quoique, rythme puissant et narration fluide créent un suspense prodigieux – mais découle de l’absence de trouble, de cette espèce de froideur dans l’acte. David Vann transforme la folie, la cruauté, en littérature.
Jeux d’enfant, disions-nous. Dans Dernier jour sur terre, David Vann ressuscite un de ces tueurs de sang-froid (allusion peu anodine à Truman Capote !) dont les États-Unis d’Amérique ont le secret, c’est presque un sport national. En 2008, Steve Kazmierczak, 27 ans, déboule dans son université, tue cinq personnes, en blesse dix-huit, en terrorise bien d’autres, avant de retourner son arme contre lui. Il se donne la mort. Fin de son histoire. David Vann, lui, lui donne une histoire. Il se fait enquêteur, journaliste de la meilleure trempe, épluche des milliers de pages de rapport de police, rencontre victimes et amis de Steve, et s’interroge : pourquoi lui ? pourquoi pas moi ? lui qui tout petit déjà, à 8 ans, s’amusait à viser les voisins… Un divertissement qui aurait pu déraper. Dans ce récit à la fois investigation, introspection et acte politique, l’auteur se met à nu, presque en danger. Il appelle un chat un chat, et lève le voile sur les parts d’ombre sournoises qui se lovent en chacun, américain ou pas.
Jeux d’enfant, disions-nous. Dès les toutes premières pages de Goat Mountain le roman, le narrateur, un gamin de 11 ans, va vivre sa première chasse, tradition autant que rite initiatique, baptême d’un genre particulier, d’une virilité exacerbée. En l’espace d’une seconde – en un seul coup de carabine – il passe de l’enfance à l’âge adulte (ou à ce que l’on croyait réserver aux adultes… ) : « Ma main se resserra autour de la crosse, je retins mon souffle. (…) Une lente expiration, prudente, comme on me l’avait appris, et je serrai lentement la détente. Il n’y eut aucune pensée. J’en suis certain. Il n’y eut que...
Entretiens Tragédie moderne
octobre 2014 | Le Matricule des Anges n°157
| par
Martine Laval
Avec deux ouvrages, un récit et un roman, aussi puissants que dérangeants, l’Américain David Vann clôt l’histoire violente de sa famille entamée avec Sukkwan Island.
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