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Les mains dans la lutte Q****

mars 2015 | Le Matricule des Anges n°161

Durant ses études d’ingénierie, il a suivi des cours sur l’optimisation de la dégradabilité et assisté à des conférences sur la part croissante, dans l’industrie, des composants (électricité, électromécanique, multimédia, micro-informatique…) développés pour des marchés grand public et affectant la maintenance des systèmes à vie longue. Il a même donné sur le sujet de brillants exposés en anglais, notamment sur le rapport forme du capot / ventilation interne d’un téléviseur et le positionnement des éléments pour accumuler la chaleur dans l’appareil et réduire la durée de vie du condensateur. En parallèle, il démontait tout l’électroménager chez ses parents pour identifier les parasites et les pièces à haut coefficient de défectuosité. En informatique, c’était plus facile. Dans la plupart des cas, il suffisait de télécharger un programme piratant le logiciel d’origine, et soudain l’imprimante redémarrait et la durée de vie des cartouches d’encre était augmentée de 35 %.
Il dit : « Quand je suis entré dans mon école, mon plan dans la vie, c’était la décapotable, voyager partout, façon croisière, j’avais un grand rêve de maison d’architecte accrochée à une falaise avec un héliport… À la fin de mes études, je crois que j’étais même devenu un peu écologiste. »
Ce qui l’a décidé, ce ne sont pas les villages-poubelle en Chine et leurs marchés de métaux précieux dissociés dans les déchets électroniques, c’est le four micro-ondes chez ses parents. Il s’y est attaqué un samedi vers midi (il n’était pas tellement du genre à émerger aux aurores, même en ces temps glorieux). Le transformateur électrique était tellement intégré qu’il a été obligé de le scier à la base pour le remplacer. Il a passé la nuit sur le magnétron. Et encore la journée du dimanche, avec la fiche de spécifications récupérée sur Internet. Le soir, son père est entré dans la cuisine, une moue d’appréhension sur le visage, seulement vêtu d’une robe de chambre rose neuve (résidus d’éthoxylate de nonylphénol, reprotoxique et cancérigène), et il a dit : « Tu es sûr que tu ne veux pas arrêter, maintenant, parce qu’on voudrait bien manger les pâtes et pouvoir voir le film ».
Dans le compartiment congélateur, il y avait trois bols de pâtes au pistou scellés, relevées d’exhausteurs de goût E621, et une barquette de crème glacée au bicarbonate de sodium.
Il dit : « Ça a été mon satori. Le jour de bascule. C’est bizarre. Faut croire que j’étais prêt. ».
Il n’a jamais remonté le micro-ondes (ses parents en ont racheté un autre, honteusement, et ils l’ont gardé caché plusieurs semaines ; il a fallu des années avant qu’il ne les convainque et, à présent, le nouveau étant à la surprise générale tombé en panne, ils ont choisi de ne pas le remplacer).
Il dit : « Depuis des millénaires, les hommes s’entraînent à fabriquer. Pardon : les hommes et les femmes. Ils apprennent des tas de techniques, de savoir-faire. Ce sont nos muscles et nos tendons. Tant que nous savons faire, nous sommes en bonne santé. Et donc, acheter, c’est comme un claquage. Et certains objets, tellement laids, tellement mal conçus, tellement inutiles, si tu te poses un moment tu peux en concevoir un plus pratique toi-même, c’est comme se déchirer un muscle. Un objet manufacturé, c’est une petite déchirure ligamentaire. C’est se faire du mal. Et plus tu te fais du mal, forcément, plus tu deviens faible. Il faut que les autres s’occupent de toi. Les gens comme moi : qui ont appris à baiser les faibles en leur vendant des produits usinés pour tomber en panne après la période de garantie, ou assez design pour être oldy dans un an. La mode, c’est l’obsolescence esthétique. »
Il a créé un atelier de réparations de guitare. Une petite boutique dans une rue peu passante, avec en devanture une poignée d’instruments désossés, ou en voie de reconversion. Il opère les six cordes qu’on lui apporte, règle, refrette, change les micros chinois pour des modèles américains, pose des vibrato bigsby. Son kif, c’est la transformation des vieux objets en mieux, passer du low cost au cousu main. Il ne travaille pas sur commande, mais, si tu as une idée en tête, il peut te donner des conseils. Quelques-uns viennent dans l’atelier juste pour discuter accastillage et sentir la qualité de fabrication des mécaniques entre leurs doigts. Il a monté une formation : si tu sais ce que tu veux, fais-le toi-même. Il travaille longuement sur dessins et confectionne à l’unité des guitares qui resteront parfois un an ou deux dans sa vitrine. Tout va bien. Il lui faut plusieurs mois pour en construire une nouvelle. Sa copine est consultante en Risk-Management, spécialité matières premières et devises. La nuit, c’est elle qui fait la customisation sur les guitares, et les incrustations en nacre.

Charles Robinson

Q****
Le Matricule des Anges n°161 , mars 2015.
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