Louis Calaferte, les élans d'un insoumis
- Présentation Un îlot de liberté
- Entretien « Un éveilleur »
- Autre papier L’ami de Tarabuste
- Autre papier Commémoration
- Entretien « Une quête intérieure »
- Bibliographie Bibliographie
- Autre papier Chassez la racaille !
- Autre papier « Les mots, ça fait tout trembler… »
- Autre papier « Pas pourris. C’est l’essentiel »
- Autre papier Être soi et l’autre
- Autre papier Du pire que vrai
Animateur de la revue Résonance générale, poète sous le pseudonyme de Serge Ritman (Tu pars, je vacille, Tarabuste, 2015), Serge Martin est aussi professeur à l’Université Sorbonne nouvelle Paris 3. Ses recherches portent essentiellement sur la poétique de la voix et la littérature pour la jeunesse. Il est l’un des contributeurs du colloque « Autour de Louis Calaferte », qui s’est tenu à Dijon en octobre dernier.
Selon John Taylor, le traducteur américain du Sang violet de l’améthyste, l’œuvre de Calaferte est un « continent inexploré ». Souscrivez-vous à cette formule ? Et pour quelles raisons l’Université semble-t-elle réticente à l’empoigner ?
Avec Calaferte, on est bien obligé de parler de « continent » ! Pour s’y aventurer, il ne faut pas compter sur les vieilles cartes littéraires avec frontières et typologies bien établies, parcours balisés : il est de la responsabilité de son lecteur de l’arpenter sans imaginer pouvoir trouver une issue. Au-delà de la métaphore, il me semble en effet que ce continent Calaferte demande un changement de conception de la littérature – exactement comme l’exige toute œuvre forte. Pour Calaferte, le roman est « une bouillie hybride » comme il l’écrit dans Direction (les citations qui suivent en proviennent) : il s’en prend ainsi frontalement aux habitudes de l’époque qui souvent réduisent la littérature au « roman », mais il poursuit également ce que j’appellerais une véritable ambition anthropologique pour la littérature, au sens d’une anthropologie critique du langage, puisqu’il déclare par ailleurs que « la littérature est faite pour susciter des problèmes ». Jamais réduite à une forme, même si on peut bien évidemment rattacher son œuvre à un certain goût du fragment partagé par Roland Barthes ou d’autres à la même époque, la littérature pour Calaferte est une exploration du vivre de la plus haute exigence : « saisissement du fugace et fixation du grave », précise-t-il non sans évoquer me semble-t-il la définition du moderne par Baudelaire – d’ailleurs, s’il y a un grand baudelairien au XXe siècle, c’est bien lui ! Contre tous les moralismes institutionnels aussi bien que révoltés, sa direction est celle d’un « vivre poème », au sens de Meschonnic. Et s’il adopte une « voie chrétienne », il ajoute aussitôt : « débarrassée des dogmes aveugles des Églises, de l’impérialisme des hommes ».
Bref, ce « continent » demande d’y inventer et peut-être seulement d’y préserver une force de liberté et de désencombrement des académismes de tous poils – même ceux de la révolte – ; ce qui n’est pas pour plaire à bon nombre de ses contemporains et pairs de tous bords. Alors, on comprend quelque peu l’embarras qu’un tel « continent » fait à l’Université. Les genres y sont mis au rancard, les thèmes ne valent que reproblématisés, les formes délirent ou demandent d’apprendre à lire sans catéchisme stylistique. Littérairement incorrect parce qu’inclassable comme les grands intempestifs, Calaferte...