Louis Calaferte, les élans d'un insoumis
- Présentation Un îlot de liberté
- Entretien « Un éveilleur »
- Autre papier L’ami de Tarabuste
- Autre papier Commémoration
- Entretien « Une quête intérieure »
- Bibliographie Bibliographie
- Autre papier Chassez la racaille !
- Autre papier « Les mots, ça fait tout trembler… »
- Autre papier « Pas pourris. C’est l’essentiel »
- Autre papier Être soi et l’autre
- Autre papier Du pire que vrai
Écrit et publié dans les années 50, Requiem des innocents demeure un sommet de la littérature française, malheureusement trop peu lu et reconnu. C’est un récit brut, tranchant, rugueux, qui dit la vie d’une bande d’adolescents dans l’un des quartiers les plus « écorchés » de Lyon, leur lutte pour la survie, leur misère, leur colère. C’est beau le mot écorché, ça sonne tout de même plus vrai que « quartier sensible ». Calaferte nomme simplement « la zone » le lieu qui l’a vu grandir du côté des bidonvilles de Gerland. Une zone dans laquelle défile une galerie de portraits faite de garçons brutaux et ignorants, souvent méchants, flanqués de parents tout aussi crasses. « Je pense que rien au monde n’est plus féroce, vicieux, criminel qu’un enfant », écrit Calaferte dès les premières pages, donnant le ton à un livre si peu complaisant qu’il en demeure un modèle du genre. L’enfance qu’il a si souvent mise en scène par la suite est ici livrée en pâture, regardée sous ses jours les moins reluisants. On apprend dès les premières lignes que les gosses de la zone « se tripotaient » en regardant le portrait peint de feu la mère Lédernacht, dont « les seins ballonnants étaient si outrageusement vivants », une femme que personne n’avait connue puisque son mari « voleur, mesquin, filou, hypocrite, calomniateur, névrosé et intelligent » n’avait ouvert sa boutique « de vieux vêtements » qu’après sa mort.
Je me demandais en relisant Requiem des innocents si ce livre pourrait être publié aujourd’hui, tant ce qui porte est la langue, la fougue, le rythme et la transe que procure la succession de scènes si réalistes qu’elles prennent un tour mythologique, et si peu politiquement correctes. Publierait-on de nos jours un écrivain qui énonce, parlant de Lédernacht toujours, « qu’il était le plus sale petit juif de la création », et qui enchaîne un peu plus loin : « quand Wieckevitz, le Polonais pédéraste, se fit étriper au beau milieu de la rue par Tardant, jeune colosse de dix-huit ans, nous allâmes tous avec plaisir toucher son cadavre. » ?
L’ambition des enfants de la zone est de descendre en ville « faire des cassements » (comprendre vol à l’étalage), ce qu’accomplissent les plus forts et zélés d’entre eux, provoquant la police qui déjà, au cours de descentes musclées, les matraque. Et suscitant l’intérêt des journalistes qui rappliquent « par grappes » et publient sur la zone des papiers effrayants avec preuves photographiques à l’appui. « Les futurs anarchos de la génération montante, c’était nous », écrit Calaferte, « Notre cas faisait fureur. La ville épouvantée réclamait en son âme et conscience que l’on fît de nous des errants, des bohémiens, chassés de pays en pays. Crevant de routes en routes. Chassez la racaille ! C’était le mot d’ordre. » Déjà.
Le narrateur est le seul de sa classe à obtenir le certificat d’études, contre toute attente, ce qui lui promet peut-être un avenir mais à coup sûr « les représailles des copains ». La force...