Louis Calaferte, les élans d'un insoumis
- Présentation Un îlot de liberté
- Entretien « Un éveilleur »
- Autre papier L’ami de Tarabuste
- Autre papier Commémoration
- Entretien « Une quête intérieure »
- Bibliographie Bibliographie
- Autre papier Chassez la racaille !
- Autre papier « Les mots, ça fait tout trembler… »
- Autre papier « Pas pourris. C’est l’essentiel »
- Autre papier Être soi et l’autre
- Autre papier Du pire que vrai
Calaferte, je le lis tard, d’accortes bibliothécaires me le recommandent, j’atermoie, en général quand on me vante un auteur, au bout de dix lignes je me demande pour qui on m’a pris. Mais là, malgré la recommandation, j’accroche. Il faut dire que je tombe sur son Requiem des innocents. Une langue vivante, qui bouge encore, qui fait écho en moi, des mots qui touchent en plein. Un rythme, un ton, loin du beau verbe usé, usuellement primé, embaumé. Surtout, je flaire de l’authentique roman, même si en préface un ballot parle de témoignage, tente l’argument crétin de l’histoire vraie, ce piège à gogo, comme si on pouvait croire encore au souvenir objectif. Pour moi, c’est du roman flagrant, quand les scènes sont à ce point sombres, profondément marquantes. Des pages qui sentent à plein nez la réminiscence d’enfance, c’est-à-dire l’exagération hyperréaliste éhontée de l’authentique réminiscence d’enfance, ressentie, pleine d’inhérent ennui, longs chagrins, trahisons, avec, sans prévenir, de purs moments de grâce. Du roman, avec faits et gestes qui au besoin pourraient être vérifiés, et du pire que vrai, d’une vérité plus terrible, celle du sentiment, du désir, de la crainte, ces scènes qu’on éprouve le besoin de raconter alors qu’elles n’ont même pas l’excuse d’être avérées. De l’impression d’enfance pur jus, telle qu’on l’a gardée en soi, rien à voir avec l’enfance certifiée, la fadasse invention de vieux sénile. Celle de Calaferte est la nôtre, sombre et poétique.
Chez lui, me touche aussi le fait qu’en même temps qu’il raconte la vie, il dit, parallèlement, la difficulté de rester en vie, trouver à se sustenter, s’abriter, se garer des gnons. J’ai du mal avec les romans où le héros voyage, dort à l’hôtel, mange au restaurant, sans qu’on sache jamais quel est son plan pour payer.
Vrai qu’il y a du social, chez Calaferte, forcément, et j’en ai besoin, quand je lis. Sans vision sociale, un roman n’est que de la soupe. Là, on dit un monde qui a fait de ses enfants des monstres, des êtres qui n’ont rien à perdre, le savent en naissant, dont les règles, les jeux, les importances, ne valent que dans ce coin-là, mais restent les seules qui vaillent pour eux. Mais, même s’il y a du dramatique, voire du sordide, on peut en rire, rien n’est grave, par la grâce du recul. Avec du recul, fatalement tout révèle son côté dérisoire, risible. Dans ces parages-là, rire est juste affaire de résistance, instinct de survie. Par exemple, quand le vieux marchand crie qu’il n’y a plus d’espoir pour que le sauveur revienne les sauver, vu qu’il n’a pas été crucifié mais écrabouillé. Ou quand le gamin se lâche contre ses parents, ce qui lui en a tenu lieu, la garce de mère dont il aimerait apprendre qu’elle est crevée, le seul plaisir qu’elle lui aurait jamais fait, et son ridicule de père alcoolo qui ne le reconnaît pas quand il le croise. Bien sûr, j’ai aussi identifié à mort avec sa mutation, plus tard, par la lecture, puis par l’écriture. Pour son...