Tournant le dos à la versification savante, il existe une poésie de la simplicité. Il serait aussi sot qu’inutile de faire mine de ne pas l’avoir aperçue. Elle s’invite du reste toute seule. On la trouve à chaque coin de bosquet ou de rue, sur tous les chemins creux et parfois même au milieu du brouhaha des réunions publiques. Cette poésie, c’est celle qui parle sans chichi prétendument érudit, sans filtre culturel destiné à patiner le rendu, celle qui provient du cœur de certains poètes parfois un peu enfantins, c’est vrai, celle que l’on émet sous forme de comptine, mais aussi, et pourquoi pas, sous forme d’adage et de leçons populaires, ou bien encore de limerick lorsque le goût de la satire, du non-sens ou de la provocation dévale la pente du bon sens. Cette poésie simple explose alors et devient ce que le spécialiste de la langue rabelaisienne Claude Gaignebet nommait Le Folklore obscène des enfants (Maisonneuve et Larose, 1980). Il y a aussi le cas où, à l’instar de l’art brut, de l’art populaire, de l’art des enfants ou de l’art naïf, la poésie prend simplement un tour modeste, c’est alors l’arte povera du verbe. Maurice Carême, Paul Fort parfois et même Robert Desnos ont su en faire usage. Adrienne Savatte est de ces poètes-là. Mais contrairement à Françoise Bastenier, poète belge de la même eau limpide, elle n’a pas rencontré Carême. C’est Valérie Rouzeau qui nous le dit, puisque c’est elle qui milite depuis longtemps pour la poésie d’Adrienne.
Adrienne Savatte vivait au Plessis-Grimoult, à 7900 mètres à l’ouest du Mesnil-Martin (commune de Culey-le-Patry), « petit village de la Suisse normande que la guerre a bien voulu épargner » où elle a vu le jour le 13 juin 1924. Fille du cultivateur Paul Jean Joseph Désiré et de Louise Juliette Huet son épouse, Adrienne Louise Yvonne Désiré a donc passé sa vie dans un pays de quelques dizaines de kilomètres carrés, mariée le 11 octobre 1954 (au Plessis-Grimoult évidemment) à Félicien Savatte qui lui donne son patronyme et des enfants. Une vie rurale avec, au bout de la langue, le souci le noter ces instants qui passent et d’en faire de tout petits livres. Par ce qui ne peut pas être un hasard, l’un de ses éditeurs, Charles Corlet, officie à quinze kilomètres de là, plus au sud.
En dix ans, elle publie l’essentiel de son œuvre : Les Roses d’à-présent (introuvable) jusqu’à Où sont les passagers ? (Noréal, 1989), une plaquette de 16 pages. Même si elle évite la société – c’est elle qui le dit –, Adrienne fréquente tout de même l’équipe poétique de Noréal et ses vingt-cinq adhérents, « mais simplement à temps partiel, irrégulier, perdu, j’y garde des amis – c’était fraternel », avoue-t-elle dans une lettre de 2003. Et elle ajoute, comme toujours, « voici un petit aperçu de mes œuvres : Voisin ton carré de choux / De grands choux à lapin / Me fait rêver / Il est selon le jour, l’humeur / Du temps et de la fantaisie / Champ d’ombrelles de parapluies / Forêt de palmiers ou de pins / Et toi, mine de rien / Voisin, / Jonglant avec l’or, la turquoise / Tu deviens magnat brésilien / Dans le nuage serpentin / De ta gauloise ! »
Quoique l’essence ne soit pas typiquement normande, Adrienne Savatte avoue une dilection particulière pour le pin. « Le poème, écrit-elle dans un volume collectif de Corlet en 2000, est un pin indépendant et sauvage, à nul autre pareil, dont le seul bien reste la liberté. » La sienne de liberté aura été d’écrire ses poèmes et de les offrir à ses correspondants. C’est une fenêtre ouverte de sa vie de femme et de mère du bocage virois où elle élève quelques vaches, au rythme des saisons. En 1980, Christian Dorrière en forme un livre avec Seize Petits Poèmes (Les Cahiers du Val Saint Père, n°3) puis ses échanges amicaux avec André Druelle et Claude Le Roy donnent trois ans plus tard à Charles Corlet l’occasion de publier un recueil à six mains sous le titre de Fleurs d’amitié. Dans l’édition des Six Petits Poèmes Christian Dorrière et Elise Teran précisent qu’« Adrienne Savatte est trop humble pour prétendre écrire des poèmes. Elle pose, en cachette et pour elle-même, sur son papier à lettre de petites interrogations de vivant qui s’étonne de vivre et aussi de souffrir, de pleurer. Ces interrogations en forme de poèmes, elle les confie parfois à ses amis, comme un secret ».
Il est vrai qu’elle est très discrète : « Je ne suis pas photogénique – ni de face, ni de profil – “qu’on m’excuse, j’aime rire” ». Et puis elle cite « Les savons » de Robert Delahaye, l’ami de Jean Follain né en 1906 à Saint-Lambert, plutôt que ses propres vers : « ne faites pas pleurer les lavandières / elles en ont assez de laver le linge sale des jours. » Adrienne Savatte est épatante.
Éric Dussert
Égarés, oubliés Apothéose de la simplicité
juillet 2015 | Le Matricule des Anges n°165
| par
Éric Dussert
La poésie pousse partout. La Normande Adrienne Savatte a tracé une œuvre modeste et fugace dans l’amitié des choses et des gens pour dire son étonnement et ses difficultés.
Un auteur
Apothéose de la simplicité
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°165
, juillet 2015.