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Domaine étranger Shoots d’innocence

novembre 2015 | Le Matricule des Anges n°168

La reporter Adrian Nicole LeBlanc s’immerge dans l’intimité d’une famille portoricaine du Bronx : elle y découvre la drogue, le sexe, la prison et la tendresse.

Dans les années 80, alors que l’androgyne Boy George cartonne avec son Do you really want to hurt me, un autre Boy George, nettement plus viril, amasse les millions grâce à un éléphan-tesque réseau de trafic d’héroïne. À sa merci, des dizaines de dealers du Bronx et un harem de belles jeunes femmes, aussi pauvres qu’amoureuses. La plus charismatique d’entre elles s’appelle Jessica. Elle habite Tremont Avenue, « l’une des rues les plus pauvres d’un quartier très pauvre du Bronx », et n’a qu’une aspiration : s’enrichir auprès du jeune milliardaire. Ainsi elle recevra de Boy George de l’argent et un enfant. Puis des coups, et enfin une dizaine d’années de prison. Incarcérée par bêtise, condamneront les plus sévères, prisonnière de son amour du jeu, nuanceront les autres.
C’est que le trafic de drogue, comme l’amour, n’est pour les enfants du Bronx qu’un jeu. Certes plus dangereux que d’autres, mais qu’importe : un jeu. « Seulement le jeu, tel qu’il est imaginé par les participants et décrit dans la presse, paraît toujours plus organisé et élaboré qu’il ne l’est en réalité ». Ah oui, et comment est-il alors, en réalité ? Rendre compte de sa complexité relève du défi. Il aura fallu onze ans à Adrian Nicole LeBlanc, jeune reporter fascinée par les marginaux et les laissés-pour-compte, pour rassembler les éléments nécessaires à décrire cette cour de récréation mortelle. Onze ans pour repérer les manières « des commissariats, des prisons, des administrations, des foyers pour SDF des services d’urgences et de la rue ». Onze ans pour suivre jusqu’à leurs termes, ou presque, les grossesses et les procès (aussi courants les uns que les autres) encourus par les individus du quartier le plus sensible de New York. Onze ans pour récolter les lettres, appels téléphoniques et journaux intimes constituant autant de preuves à conviction de l’humanité débordante des rues sales. Onze ans, enfin, à prendre le temps d’écouter Jessica, Coco, Cesar, Mercedes et tous les autres enfants affiliés de près ou de loin à l’affaire Boy George.
« Enfants » n’est pas à prendre au sens littéral : la plupart des protagonistes de cette saga naturaliste ont dépassé la majorité. Mais ce n’est pas l’âge qui, ici, motive le nom « d’enfants ». C’est la pureté des sentiments qui agitent les personnages, c’est l’innocence fondamentale de tous ces marginaux jugés coupables. C’est leur spontanéité aussi, surtout. Un exemple : alors que le nouveau copain de Coco lui demande si elle l’aime plus que le précédent, la jeune femme lui répond spontanément que non, son ancien amant est irremplaçable. Loin de se vexer le second choix sourit alors, et renchérit : « C’est pour ça que je t’aime Coco… T’es super franche. » Ailleurs, la même Coco a l’idée d’envoyer des photos érotiques d’elle-même à cet amant irremplaçable, Cesar. Trop excitée pour attendre de trouver un photographe, elle propose alors naïvement à sa nièce de 10 ans, puis à sa propre fille de 5 ans, de tenir l’objectif devant son corps qui se trémousse.
Des enthousiasmes comme celui-là, si francs qu’ils en deviennent malsains ( « J’ai des trous dans ma culotte !« confie Coco sur un ton enjoué, avant de donner trois dollars à un SDF »), l’ouvrage d’Adrian Nicole LeBlanc en regorge autant que de colères spontanées (« Une fois, alors qu’ils faisaient mine de se bagarrer, George frappe Jessica si fort que sa main enfla. »Je vais pas me faire mal pour ça " », marmonna-t-il, et il attrapa un bâton). Adrian Nicole LeBlanc accumule en fait l’exposition brute d’émotions et de gestes tout aussi bruts. Ces enfants du ghetto partagent un rapport au monde immédiat, dépourvu du moindre écran. Aucune demi-teinte chez eux : de l’éclat dans la colère comme dans la joie, dans la jalousie comme dans le désir, dans la haine comme dans l’amour.
C’est Jessica, par exemple, qui ne parvient jamais à s’empêcher de rire quand Boy George la frappe, même si « quand elle rit il croit qu’elle se fout de lui, et la frappe de plus belle ». C’est Cesar que l’immaturité pousse à dévorer les bonbons de sa fille devant elle puis à « étouffer ses larmes avec des rires, des baisers et des petits bruits rigolos ». C’est Mercedes qui en prison demande à son père s’il peut la porter sur ses épaules et « faire l’avion » alors qu’elle pèse dans les soixante kilos. C’est Coco, enfin, qui voyant cela « les regarde (tous) comme une petite fille émerveillée regarde un sapin de Noël. »
Les Enfants du Bronx se lit comme le récit d’un long goûter d’anniversaire où l’alcool coulerait trop à flot et dont le gâteau, coupé à la cocaïne, rendrait malade la plupart des invités. Une fête d’enfants souvent sombre, douloureuse et désespérante – mais qui n’en reste pas moins une fête d’enfants.
Blandine Rinkel


Les enfants du Bronx
D’ADRIAN NICOLE LEBLANC
Traduit de l’américain par Frédérique Pressmann, préface de Florence Aubenas, L’Olivier, « Replay », 539 pages, 15,90

Shoots d’innocence
Le Matricule des Anges n°168 , novembre 2015.
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