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Égarés, oubliés Charniers et pigments

novembre 2015 | Le Matricule des Anges n°168 | par Éric Dussert

Aquafortiste symboliste, prosateur et poète, peintre de la Provence et des âmes, Valère Bernard le polytalentueux était « broyeur de noir ».

Aussi célèbres que les ports d’Alger ou de Marseille par Albert Marquet, le « Débarquement d’oranges » ou « La rixe » de Valère Bernard sont des toiles que tous les amateurs de couleurs et de soleil connaissent. Plus rares sont ceux qui lisent Bernard, mais il y a fort à parier qu’un coup de projecteur sur ses gravures à monstres, créatures dévorantes et femmes à ongles devrait attirer à lui de nouvelles curiosités… Comme en 1988, l’exposition du musée des Beaux-Arts de Toulon avait permis de redécouvrir ce talentueux protéiforme, ce « symboliste au double visage : le peintre de l’âme ­ – Le broyeur de noir ».
Issu d’une famille originaire d’Avignon, Valère Bernard voit le jour à Marseille le 10 février 1860. Il fait ses humanités au lycée Thiers puis entre dès sa seizième année à l’École des Beaux-Arts de Marseille où il suit les cours de Joanny Rave. L’élève est plein de ressources, il est reçu à l’École des Beaux-Arts de Paris où il suit les enseignements d’Alexandre Cabanel et de Pierre Puvis de Chavannes, travaille avec le grand Rodin et se lie avec Jules Boissière et les félibres parisiens Paul Arène, Raoul Gineste et Paul Mariéton. Bernard sera élu majoral du Félibrige en 1894 et grimpera ensuite les échelons, devenant Capoulié, c’est-à-dire chef, position fort légitime pour un homme qui collabora à toutes les publications provençales de son temps et composa toute son œuvre littéraire en occitan qu’il plaça dans L’Aioli, l’Armana Marsihés, L’Araire… Il fonde même le journal Zou ! et, pendant son capoulierat, L’Estello, des organes où il signe de son nom ou de l’un de ses pseudonymes : Pinto-Gàbi, Valèri Tadéo, Lou Pantaiaire ou Nadal…
C’est en 1883, durant son séjour à Paris, qu’il avait publié ses premiers vers dans une plaquette intitulée Li Balado d’Aram (Les Ballades d’Airain), bientôt suivie d’une autre : Li Cadarau (Les Charniers), œuvre de 1884 très applaudie dont les caractéristiques funèbres suggèrent la double influence du romantisme noir et de Baudelaire. Poe et Odilon Redon n’étant pas loin. La même année, Valère Bernard revient s’installer à Marseille, ouvrant une période de production particulièrement intense tant dans le domaine de l’art graphique que dans celui de la littérature. C’est d’ailleurs en travaillant à l’exécution de lithographies pour Lou Gàngui de Fortuné Chailan (1801-1840) que le goût du vers lui était venu.
De même, la gravure à l’eau-forte le pousse à prendre contacte avec Félicien Rops – son maître comme Goya, Rembrandt ou Puvis de Chavannes – qui devient son ami, ainsi que l’affichiste Alfons Mucha. Graphiquement et spirituellement, la fréquentation du maître de Namur le pousse sur une voie qui lui vaut de produire près de trois cents planches saluées par la critique de son temps et d’apparaître encore aux cimaises de l’exposition Fantastique ! L’estampe visionnaire de Goya à Redon au Petit-Palais (jusqu’au 17 janvier 2016).
Polytalenteux, il n’est guère de domaine où il ne s’illustre, épatant sans cesse Marseille dont il devient un homme de très grande influence. S’il invente un « piano de couleurs » en explorant les questions de la lumière et de la couleur – le compositeur Karol Bérard écrira une musique dessus mais le projet d’un orgue de couleurs sera empêché par l’irruption de la guerre de 1914 –, il produit une œuvre littéraire de grande sensibilité, manifestant une empathie remarquable pour les humbles et les marginaux. Ces livres, ce sont La Feruno (La Sauvagine), Lei Boumian (Les Bohémiens), et son roman Bagatóuni publié en feuilleton, en provençal et en 1894. Son titre renvoie au quartier de la « gueuserie » marseillaise rasé par les Allemands en 1943. La traduction du livre est rapidement assurée par Paul Souchon et publiée à La Plume, la revue qui avait donné ses quinze gravures de Guerro où il stigmatisait les horreurs d’une guerre étendue à l’échelle planétaire. Son réalisme atroce était alors celui de Goya, un art tourmenté et sombre. Rêveur éveillé, c’est le surnom qu’on lui donne alors, « Lou Pantaiaire ». Tourmenté et plein d’humanité, il peint dans ce livre à lire sans faute la population de filles, de maquereaux, de mendiants et de ratés professionnels avec une encre âpre et un trait singulièrement acéré. Sur un sujet similaire, un recueil de poèmes paru en 1899, La Pauriho (La Pauvraille), qu’il rehaussait de onze superbes gravures, lui valut même l’étonnement face à la tristesse et à la noirceur du sujet de son préfacier, Frédéric Mistral : « C’est un couvain, c’est une pourriture/ Et, comme Job sur son fumier,/ C’est l’humanité qui agonise.// C’est une mer qui monte, monte,/ Avec une force que rien ne dompte,/ Nous charriant toutes les hontes. »
Ironiquement, la vieillesse lui assure l’obscurité définitive : il perd la vue. Seulement il a du caractère : il apprend le braille à 72 ans, ne cessant ni ses cours d’esthétique aux Beaux-Arts, ni la création de ses poèmes, ni son activité incessante. La bibliographie de ses publications posthumes en témoigne : en disparaissant le 6 octobre 1938, il laissait au monde de quoi l’impressionner quelque temps encore.
Éric Dussert

Charniers et pigments Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°168 , novembre 2015.
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