La Mécanique des vins : réenchantement du Languedoc
Certains écrivains le confirmeront : on trouve parfois plus de poésie dans une bouteille de vin que dans un livre rangé au rayon littérature de nos bibliothèques. D’autres préciseront que cela s’avère plus sensible une fois la bouteille bue. Olivier Jullien, lui, n’hésite pas, depuis 1990, à mettre sur l’étiquette de sa cuvée « États d’âme » du Mas Jullien un poème écrit de sa main pour tenter de cristalliser ainsi l’essence d’une année passée en terre languedocienne à élaborer, magnifiquement, ses vins. On n’est donc pas surpris, à la lecture de La Mécanique des vins, de trouver matière à s’émouvoir, à penser, à sentir devant soi le monde s’ouvrir. Et d’au final ranger l’ouvrage lu au rayon de la littérature. Le livre s’est écrit à quatre mains dans la complicité avec Laure Gasparotto, historienne, journaliste et chroniqueuse des choses du vin et qui mène également son domaine viticole dans la proximité du Mas Jullien dont le nom a été le premier sésame pour faire entrer le Languedoc au panthéon des meilleures régions viticoles du monde. Sous-titré « Le réenchantement du Languedoc », le livre des deux complices rappellent cela, mais rapidement ; Olivier Jullien préférant cueillir les raisins que les lauriers. On passera ici sur l’excellence de son domaine ancré autour de Jonquières, en Terrasses du Larzac, le vigneron nous y autorise qui écrit : « Si j’en fais (du vin), c’est pour éviter d’en parler. » Cet enfant de Jonquières a été élevé par la terre où il vit aujourd’hui (et ceux qui l’ont habitée) et nourri au sang de la révolte comme aux gestes de l’amour. Drôle d’alchimie qui maintient les yeux ouverts sur le monde, le plus proche (il se doit d’« être lié aux vers de terre, aux bactéries du sol, sensible à la porosité, au flux de sève, à la vie de la plante ») comme le plus lointain. Sans cesse l’homme revient sur la nécessité de rencontrer les autres, sur sa quête d’une forme d’interconnexion entre les hommes et les règnes animal, végétal et minéral, mais aussi entre les vivants et les morts. C’est en riant, d’ailleurs, qu’il dit que 800 ans après, il convient de venger les Cathares… Livre d’assemblage, La Mécanique des vins finit par transmettre toute une approche de la vie, dans l’expérimentation des gestes, de la réflexion et de l’observation. Le récit d’une partie de pêche à la mouche en Gaspésie se clôt par une parabole où il apparaît que « le temps d’inaction est vraiment précieux : il nous rappelle à notre état de vigneron où il faut du courage pour ne rien faire. On se soustrait à l’action pour entrer dans une forme de contemplation. » Et d’ajouter : « Quand la conscience va plus vite que la pensée, c’est l’état de grâce. »
Commencé sous forme de dialogue, le livre se ramifie sans jamais se perdre, sans non plus que l’expérience tourne à la leçon. L’humilité des deux auteurs confère à l’archive le soin de guider le lecteur sur un chemin qu’il se fera lui-même. Et le déposera au cœur d’une mirifique dégustation de trente ans de vins du Mas Jullien : huit amis se rassemblent pour goûter, millésime après millésime, chaque vin de leur hôte. Ils font ainsi ressurgir de leur tablée, « le temps de la pierre », « le temps de l’homme », « le temps disparu ». Puisque « c’est surtout cela le vin : une succession d’instants qui circule dans les bouteilles, puis en nous. Une mémoire vive qui devient monument. » Et l’on entend presque ici aussi une définition de la littérature.
T. G.
La Mécanique des vins
De Laure Gasparotto et Olivier Jullien
Grasset, 216 pages, 18 e