S’il est né à Nancy, Emmanuel Bluteau vécut ses jeunes années en Haute-Marne, comme d’illustres aînés, Albin Michel et Ernest Flammarion. Heureux présage. Passionné par l’histoire et le journalisme (« Un métier de seigneur devenu d’esclave ») qu’il pratiqua longtemps, ce fin connaisseur de Jean Prévost, seul écrivain tombé les armes à la main au maquis, défriche ce qui lui plaît. Avec une profonde « dilection » pour les années 20 à 50.
La Thébaïde, clin d’œil à Valery Larbaud et à la Résistance du Vercors, alimente son catalogue selon trois axes : les rééditions de romans, de témoignages et les recueils d’articles de presse inédits en volume. « Les articles d’écrivains ne sont pas des œuvres au rabais. Ils éclairent d’un jour nouveau l’œuvre. Et quand on gratte, on trouve. » Un travail de bénédictin. Entouré d’un comité de lecture « à géométrie variable », Emmanuel Bluteau privilégie autant la pugnacité que l’élégance du style : il suffit de lire Jacques Decour (La Faune de la collaboration), Louis de Jouvenel (Le Journalisme en vingt leçons), Emmanuel Braga, l’un des pionniers de la littérature sportive, Pierre Bost, l’ami fidèle de Prévost, dont paraîtront ce mois-ci ses écrits sur le cinéma des années 30, ou encore Magdeleine Paz (Je suis l’étranger). La rareté n’empêche pas d’éclairer l’actualité. « Dans la vie, seule la littérature est inépuisable. »
Emmanuel Bluteau, vous dirigez la revue Aujourd’hui Jean Prévost depuis 2003. La création des éditions La Thébaïde s’inscrit-elle comme une suite ?
On pourrait effectivement le considérer, vu de l’extérieur. Mais la revue et les livres ne se situent pas sur le même plan, sur le même rythme. La création d’une maison d’édition correspond à un besoin de liberté et d’indépendance. Si on y ajoute une réflexion sur la façon d’appréhender le monde et le temps, sur la pérennité de l’écrit face à une société de « flux », le projet prend forme, l’envie grandit, et le passage à l’acte devient impérieux. On fonde La Thébaïde pour donner à lire les livres qu’on aurait aimé trouver ailleurs.
Dans quelles conditions avez-vous rencontré l’œuvre de Jean Prévost ?
Le premier souvenir d’une lecture de Jean Prévost, en l’occurrence celle de Dix-huitième année, remonte à ma période estudiantine. Écrire ses mémoires à 27 ans, c’est quand même assez singulier ! Je me rappelle aussi une émission de Pivot de 1994, « Bouillon de culture », où Jérôme Garcin présentait son Pour Jean Prévost. Le lendemain, je l’achetai. Plus tard, j’ai fait connaissance de la petite-nièce de Jean Prévost grâce à qui j’ai pu connaître la famille. Mais on veut encore lire du Prévost au-delà des textes publiés en volumes. Je le savais journaliste, alors j’enquête… Au fil des recherches à la BNF, j’ai constitué un corpus de plus de mille articles. Cette autre rencontre avec l’œuvre est d’autant plus riche qu’elle est secrète, qu’on l’exhume : un plaisir de chercheur. J’ai ainsi réuni 38 textes de...
Éditeur Chercheur d’encres
mars 2016 | Le Matricule des Anges n°171
| par
Philippe Savary
Amateur éclairé de l’entre-deux-guerres littéraire, Emmanuel Bluteau bâtit sa Thébaïde en toute discrétion, naturellement. Une maison engagée, en phase de décollage.
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