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Traduction Éric Athenot

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176

Manuel d’Amérique, de Walt Whitman

Manuel d’Amérique

Contrairement à l’idée que l’on se fait en général de l’œuvre de Walt Whitman, le nombre d’écrits en prose de ce dernier dépasse de loin celui de ses textes poétiques (sauf à compter comme texte différent chaque nouvelle version des poèmes qui constituent les sept versions successives de son recueil phare, Feuilles d’herbe). Journaliste, polémiste, nouvelliste, critique littéraire, préfacier, mémorialiste : Whitman aura pris de multiples poses pour tenter de se faire un nom dans la nébuleuse littéraire new-yorkaise du XIXe siècle. Les textes assemblés dans Manuel d’Amérique mènent leur lecteur, et leur éventuel traducteur, sur des voies fréquemment déroutantes. Les notes qui donnent leur titre au volume forment un ensemble fragmentaire. Réunies et publiées à titre posthume par Horace Traubel, exécuteur testamentaire de Whitman, elles furent laissées en l’état et jetées sur le papier en vue d’une conférence jamais prononcée. Le reste du volume, Recueil, évolue autour de sa pièce de résistance, « Perspectives démocratiques », long pamphlet politique écrit par le poète en 1871 en réaction aux critiques acerbes émises par Thomas Carlyle à l’encontre de l’émancipation des esclaves et de l’octroi du droit de vote à ceux-ci.
Si les notes qui constituent la première partie de ce volume ont été pour l’essentiel rédigées en 1856 et sont d’un optimisme qui n’est pas sans rappeler la préface de l’édition de 1855, il faut bien reconnaître, en revanche, qu’en ce qui concerne les textes réunis par Whitman dans Recueil (suivant un arc temporel qui couvre l’ensemble de sa carrière poétique), le souffle lyrique s’est tari au profit d’une rhétorique que je qualifierai de « victorienne ». Whitman y emploie de longues périodes labyrinthiques, qui requièrent du lecteur une concentration infaillible et soutenue, unique garantie de ne pas passer à côté des pépites disséminées dans la gangue verbale du texte principal comme dans les multiples notes de la main du poète, signalées par un astérisque.
L’édition de 1855 de Feuilles d’herbe, que j’ai traduite pour les Éditions Corti, réunissait le plus beau texte en prose de Whitman (la préface) et douze poèmes alors sans titre, dont trois au moins (les futurs « Chant de moi-même », « Les dormeurs » et « Un enfant autrefois jour après jour sortait ») sont entrés instantanément dans le panthéon de la poésie moderne. L’enjeu pour ma traduction était de tenter de faire entendre une langue nouvelle, qui mêle l’emphase didactique du sermonnaire populaire, la formule savamment accrocheuse du journaleux gommeux, le lyrisme opulent du poseur transcendantaliste, la jouissance taxonomiste de l’homme de science et bien d’autres caractéristiques encore. Le déroulé des vers whitmaniens, parmi les premiers à réunir les traits constitutifs du vers dit « libre », leur mélange troublant de souci du détail, de crudité érotique exaltée, de philosophie d’almanach, de patriotisme yankee et d’égotisme goguenard me semblait appeler un français qui porte la marque du littéraire en ce qu’il a de plus classique tout en s’octroyant des écarts de registre brusques et des jeux de mots malicieux. L’ampleur des vers et l’usage fréquent de la répétition m’ont poussé à favoriser le plus possible la concision en français et, afin de ne pas briser la monotonie de ces réitérations, à déplacer les termes répétés pour déjouer les attentes du lecteur tout en conservant la caractère hypnotique et musical de ces ritournelles lexicales.
Pour ce qui est de Manuel d’Amérique, les enjeux de traduction étaient bien différents. Comme pour toute œuvre littéraire, le premier obstacle est celui du titre. Le premier, An American Primer, convoque dans l’imaginaire américain un ouvrage didactique destiné aux enfants, qui combine visées pédagogiques et enseignement religieux. Le plus célèbre d’entre eux est sans conteste le New England Primer, manuel de lecture illustré compilé à la fin du XVIIe siècle et en usage dans les écoles et les foyers de la Nouvelle-Angleterre jusqu’à la fin du siècle suivant. Son but était entre autres de couler la nature morale des enfants dans le moule puritain alors en vigueur. Le texte de Whitman est une longue méditation sur la langue américaine en devenir. Le terme de « Manuel » m’a semblé refléter son origine didactico-scolaire et, accolé à « d’Amérique », conférer à l’ensemble un caractère de mode d’emploi qui correspond aux ambitions ultimes du poète-essayiste.
Quant au terme « recueil », qui cherche à traduire l’original « collect », il constitue l’exemple type du compromis auquel doit parfois se résoudre le traducteur. Le mot anglais conjugue de nombreux sens, parmi lesquels la collecte, la quête (à l’église ou au temple), mais aussi et surtout la collection, le recueil, dernier sens retenu. Whitman, à la fin de sa vie, rassemble ses écrits en prose et se recueille sur son passé, tout en dévoilant sa préoccupation pour le devenir d’un pays décrit comme « embryonnaire », dans lequel il souhaite asseoir d’un même coup sa postérité alors fortement hypothétique.
Le principal point d’interrogation de ma traduction aura été le choix de reproduire les méandres empruntés par la phrase whitmanienne ou d’en clarifier au contraire le propos au gré d’une réécriture et d’une simplification. J’ai décidé d’écarter la seconde hypothèse, somme toute plus aisée à réaliser et contraire au projet whitmanien. Le rapport entre texte et lecteur est esquissé par l’auteur, à la page 119, en termes de lutte, d’agon : « l’opération de lecture n’est pas un demi-sommeil, mais plutôt, au sens le plus noble, un exercice, un combat de gymnaste, (…) (I)l lui revient en personne (…) de construire le poème, l’argument, l’essai historique ou métaphysique, le texte lui fournissant tous les indices, la clef, le point de départ et l’ossature ». Ces mots pourraient figurer en exergue de ce manuel, où le texte de départ constitue à la fois un défi et une invitation à la lutte. Il me reste à espérer que la difficulté maintenue par ma traduction conduise le lecteur français à accepter de se muer à son tour en gymnaste.

* Manuel d’Amérique est paru en juin aux Éditions Corti

Éric Athenot
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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