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Théâtre Un mal qui ne passe pas

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Patrick Gay Bellile

Toujours partagé entre haine et amour de l’Autriche, Thomas Bernhard nous livre avec Place des Héros une ultime provocation.

En 1938, à Vienne, une énorme foule massée sur la Place des Héros, acclame à n’en plus finir Adolf Hitler venu annoncer l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne. En 1988, à l’occasion du cinquantenaire de cette annexion, Thomas Bernhard crée au Burgtheater de Vienne dans une ambiance surchauffée sa dernière pièce Place des Héros. C’est un immense scandale, le gouvernement proteste, les nationalistes manifestent et menacent de s’en prendre à l’auteur et au spectacle, mais le directeur du théâtre tient bon et la pièce est finalement un très grand succès. Quelques mois après, Thomas Bernhard meurt de la maladie pulmonaire dont il a souffert toute sa vie et Place des Héros apparaît ainsi comme son testament littéraire et théâtral. Et c’est un testament d’une grande violence.
L’action se passe donc à Vienne, en 1988, juste après l’enterrement du Professeur Schuster, un vieux mathématicien juif revenu d’Angleterre avec toute sa famille. L’Autriche qu’il retrouve n’a pas changé, « les Viennois sont antisémites / et ils resteront antisémites pour l’éternité ». Sa femme entend toujours, cinquante ans après, les clameurs de cette foule anesthésiée, hypnotisée, qui hurle avec les loups. Elle en devient folle. Et lui choisit de se défenestrer. Comme toujours après un enterrement, les gens parlent du défunt, de sa vie, rapportent ses propos, racontent des anecdotes le concernant. Sa gouvernante range le linge, les cartons sont faits, la maison est à vendre, la famille envisage l’avenir. Son frère, Robert, et sa nièce, Anna, en profitent pour régler leurs comptes avec ce pays. Ils sont d’une férocité terrible pour les Autrichiens : « Vienne est pour moi chaque jour un bien plus grand cauchemar je n’ai plus d’existence ici je me réveille et je suis confronté à la peur les choses sont aujourd’hui réellement ce qu’elles étaient en trente-huit. Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne qu’en trente-huit. » Ils partagent la haine du défunt pour les habitants de ce pays, et en même temps évoquent avec tendresse ce peuple qui aime la musique et le théâtre, ce peuple d’une grande culture. « La seule chose qui soit restée à ce pauvre peuple immature c’est le théâtre. » Ils sont les porte-parole du professeur mais également à l’évidence ceux de l’auteur lui-même. Thomas Bernhard en veut à la lâcheté, à l’hypocrisie de ce pays qui vient d’élire Kurt Waldheim, suspecté d’amitiés nazies, comme président de sa République. Il n’a pas de mots assez durs pour fustiger ses compatriotes. À ceux qui voudraient faire table rase du passé, il rappelle que le passé porte toujours les germes de l’avenir, et que les nazis ne sont pas loin, dans les têtes du moins. Et au-delà de l’Autriche, c’est aussi l’Europe tout entière à laquelle s’adresse l’auteur : « En Europe, où que puisse aller le Juif / partout il est haï. »
Adoptant la position du prophète, de l’imprécateur jetant des anathèmes à la tête de ses compatriotes, il n’a de cesse de dénoncer les renoncements, les accommodements, les aveuglements annonciateurs du retour de tous les populismes. Écrite sous la forme de longs monologues, peu ponctués, comme le déversement continu d’une colère qui n’en finit pas, la pièce semble parfois tourner au pamphlet et peut paraître excessive. Mais Thomas Bernhard, en grand dramaturge qu’il est, sait aussi donner de la chair et de l’épaisseur à ses personnages. Et nous faire partager leur tristesse lorsqu’ils apprennent qu’une route traversera prochainement la propriété familiale ou leurs réticences face à l’arrivée d’une actrice dans la famille. À travers ces personnages, c’est Thomas Bernhard lui-même qui se déchire entre la haine pour ses compatriotes et l’amour de ce pays qu’il n’a jamais quitté. Une saine colère. Et qui dure : à sa mort en 1989, Thomas Bernhard a interdit la représentation de ses œuvres en Autriche pendant cinquante ans.

Patrick Gay-Bellile

Place des héros, de Thomas Bernhard
Traduit de l’allemand par Claude Porcell, L’Arche, 144 pages, 13

Un mal qui ne passe pas Par Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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