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Intemporels Au pays des ibos

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Didier Garcia

Chinua Achebe (1930-2013), « le père du roman africain », plonge le lecteur dans les traditions du Nigeria. Avant leur disparition.

Dans le village d’Umuofia, situé quelque part dans la province orientale du Nigeria, Okwonko occupe une position sociale éle-vée. Dans la société ibo qui est la sienne, la richesse d’un homme se mesure au nombre de femmes, d’enfants et de granges qu’il possède. Et à ce jeu-là, il faut bien reconnaître qu’Okwonko se défend plutôt bien : au début du roman, il a déjà huit enfants, trois femmes, et deux granges remplies d’ignames.
S’il ambitionne de devenir un des seigneurs du clan, ce n’est peut-être pas tant par soif du pouvoir que pour tirer un trait définitif sur l’ombre de son défunt père qui, probablement guidé par un mauvais « chi » (dieu personnel), s’était montré « paresseux et imprévoyant » tout au long de sa vie. En attendant ce destin auquel il paraît promis, il se comporte comme un guerrier, refusant de témoigner de l’affection à ses proches, ce qui serait un signe évident de faiblesse…
Au centre du roman, il y a donc la vie d’Okwonko, son destin individuel, mais autour de lui se trouve la société qu’Achebe entend nous faire découvrir. Une société traditionnelle, attachée à des valeurs ancestrales, et dans laquelle se pratiquent encore rites et sacrifices en tous genres. Pour obtenir une réponse à une question difficile, ces hommes n’hésitent pas à consulter l’oracle des Collines ou celui des Grottes, et quand il s’agit de comprendre pourquoi un enfant est mort en bas âge, ils envoient quérir un « homme-médecine », capable de retrouver dans ce cadavre infantile la preuve de « l’ogbanje », autrement dit l’enfant malfaisant qui, après sa mort, retourne dans le ventre de sa mère pour renaître. Un enfant contre lequel il lui faudra manipuler « l’iyi-uwa », la pierre magique qui relie l’ogbanje au monde des esprits…
Le récit progresse ainsi au gré des cérémonies qui scandent la vie du village, et au cours desquelles on mange, de manière toujours ritualisée, du potage d’ignames et de copieux plats de foufou. Dans ces réunions familiales, les conservations vont bon train, portées par l’éloquence des proverbes, dont tous usent et abusent, et qui sont « l’huile de palme avec laquelle on accommode les mots ».
Okwonko semblait donc fait pour accomplir de grandes choses, mais c’était compter sans la fidélité que chacun doit à l’oracle et sans la sévérité des lois claniques. Un jour, lors d’un rite funèbre, son fusil explose, tuant accidentellement un membre du clan. Le voici aussitôt contraint à l’exil (lequel durera sept ans), et ce qu’il possédait se trouvera bientôt détruit par le clan lui-même, et même par ses amis les plus proches. Pour ce Job abandonné par la providence, pas d’autre solution que de repartir de zéro…
Comme s’ils avaient attendu son absence pour agir, c’est durant son exil que des missionnaires blancs débarquent dans la région, armés de leur « cheval d’acier » (entendez : leur vélo) et d’un homme qu’ils appellent le fils de Dieu (« Jesu Kristi »). Des missionnaires qui vont s’évertuer, pendant des années, à « apporter la civilisation dans différentes parties de l’Afrique », quitte pour ce faire à convertir, ou à tuer. S’engage alors un combat entre ce qui passe à nos yeux pour une certaine forme d’obscurantisme et cette religion monothéiste qui tente d’évangéliser la province.
Okwonko avait accepté sans broncher l’ordre ancien, même après en avoir été la victime. Mais après le temp de l’exil, il refuse de se soumettre au nouvel ordre imposé par les Blancs et présenté comme une œuvre civilisatrice pour l’Afrique. Lorsqu’il retourne dans son village, il ne peut que constater les dégâts. Le ver est dans le fruit : certains hommes du clan, dont son fils aîné, se sont ralliés à leur religion et les aident à gouverner. Okwonko n’abdiquera pas (il ira jusqu’à renier son fils), mais la destruction de son monde a bel et bien commencé.
Publié en 1958, soit près de dix ans avant la guerre du Biafra, Tout s’effondre est un livre éminemment politique. Il serait même le roman du destin de l’Afrique précoloniale (qui plus est vu par un Africain, lui-même nigérian), s’il ne racontait, avant tout, l’histoire singulière d’Okwonko, à la fois acteur et témoin de l’époque qu’il traverse. Une histoire qui est à elle seule la défense et l’illustration d’un proverbe africain qu’Achebe appréciait : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours les chasseurs ». Avec Tout s’effondre, ils venaient de trouver leur premier historien. Didier Garcia

Tout s’effondre, de Chinua Achebe
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Pierre Girard, Babel, 224 pages, 7,70

Au pays des ibos Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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